L’archéologue et préhistorien a été invité par Sophie Calle pour commenter, de manière factuelle et fictionnelle, les objets collectés par l’artiste au Palais d’Orsay. Il signe les cartels de “L’ascenseur occupe la 501”, rassemblés également dans un livre publié à cette occasion.
Comment avez-vous rencontré Sophie Calle ?
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Jean-Paul Demoule — Nous nous sommes rencontrés par hasard, comme souvent dans l’art contemporain. C’était il y a quelques années, lors d’une émission de radio de Frédéric Taddei sur Europe 1. Lorsque le musée d’Orsay lui a proposé de faire une exposition, elle m’a recontacté dans la mesure où c’était effectivement un projet archéologique.
En tant qu’archéologue, je travaille par définition sur les objets tout en m’étant déjà intéressé à l’art contemporain. J’ai ainsi travaillé avec l’artiste Daniel Spoerri, membre des Nouveaux Réalistes. En 1983, il avait enterré tout un repas pour son œuvre Le Déjeuner sous l’herbe, dont j’ai ensuite réalisé la fouille archéologique en 2010 et 2016.
L’archéologie a longtemps été étroitement liée à l’histoire de l’art, puisqu’on privilégiait les “trésors” – par exemple, la Vénus de Milo. Or, dans ma génération d’archéologues, nous avons essayé d’avoir une vision plus anthropologique pour analyser une société à travers ses objets matériels, y compris ceux des sociétés contemporaines : c’est ce que l’on appelle l’archéologie du présent.
Quelles ont été les premières étapes de la collaboration ?
En eux-mêmes, ces objets étaient plutôt bons pour la poubelle : c’étaient de vieilles clés, des débris inutilisables, les fiches des clients oubliées. Je lui en ai proposé deux visions. D’une part, une description d’une exhaustivité maniaque. Et puis, une autre perception, qui imagine l’interprétation d’archéologues les retrouvant dans mille ans.
Cette méthode, était-ce aussi une manière de réfléchir à votre discipline ?
Oui, bien sûr. Lorsque l’on se moque des archéologues, c’est traditionnellement en convoquant la surinterprétation. C’est déjà dans une pièce de théâtre d’Eugène Labiche, La Grammaire [1867] ou
chez Flaubert, dans le roman Bouvard et Pécuchet [1881]. Plus récemment, l’archéologue américain David Macaulay s’est également amusé à cela dans son livre Motel of the Mysteries [1979] : il imagine la fouille d’un motel américain bas de gamme, avec un squelette dans la baignoire que l’on prendrait pour un sarcophage ou la télévision que l’on imaginerait comme un autel sacré. Je me suis dit qu’il serait intéressant de continuer cette démarche à partir d’une expérience qui avait vraiment été faite.
“Il y a des petits cahiers où étaient notées mois par mois les consommations de gaz, avec des tas de colonnes de chiffres, qui rappellent certaines œuvres de l’art conceptuel.”
Au fil du travail, quelles conclusions se sont dégagées de la matière collectée ?
Il s’agissait vraiment de rebuts. Tout ce qui était de valeur avait déjà été pris ou arraché, y compris une partie des radiateurs ou des lavabos. D’un point de vue historique, cela donne néanmoins une idée de la sociologie des gens de l’hôtel.
Comment Sophie Calle a-t-elle réagi à cet autre point de vue ?
Ça l’a beaucoup amusée. Quand je lui ai envoyé les premiers essais, elle m’a dit qu’elle trouvait ça “drôlement bien”. Il y a des petits cahiers où étaient notées mois par mois les consommations de gaz, avec des tas de colonnes de chiffres, qui rappellent certaines œuvres de l’art conceptuel. Cela l’a beaucoup fait rire, car présenté ainsi, cela devenait complètement absurde.
Qu’est-ce qui vous a surpris au terme de cette collaboration ?
Travailler avec elle s’est avéré intéressant, car si ses démarches sont très originales, elle procède de manière extrêmement méticuleuse et systématique. Elle possède une manière de faire très sérieusement quelque chose d’absurde. C’est aussi ce que j’ai essayé de réaliser ici en tant qu’archéologue.
L’ascenseur occupe la 501 de Sophie Calle et Jean-Paul Demoule (Actes Sud), 368 p., 69 €. En librairie le 16 mars.
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