Et si Dom Juan se passait dans la tête de Sganarelle… C’est le pari osé par le metteur en scène Jean-François Sivadier, qui fait de la pièce de Molière un splendide bad trip vu par les yeux du célèbre valet.
Une galaxie flotte dans la pénombre de la cage de scène : le désordre d’un ciel de fantaisie digne de la réserve d’un brocanteur où, en guise de planètes, les boules à facettes partagent la vedette avec quelques lustres désuets et des luminaires design. Il est si fréquent d’en appeler au Ciel dans Dom Juan de Molière que Jean-François Sivadier et son scénographe Daniel Jeanneteau imaginent pour décor une voûte céleste.
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A la manière d’un compte à rebours, un panneau lumineux accroché dans les cintres comptabilise la soixantaine de fois où le mot “Ciel” est prononcé. L’occasion de transformer cette propension à demander de l’aide au divin en un gag récurrent.
Sganarelle interprète le Sexual Healing de Marvin Gaye
Dans ce vaste paysage inspiré par le vide sidéral, Sganarelle semble bien seul quand commence la pièce. Alors qu’il nous vante les mérites du tabac et tire le portrait de son monstre de maître, on se demande ce qu’il a bien pu mettre dans sa pipe pour paraître si excité. S’ouvrant sur ce Sganarelle halluciné, la belle idée suggérée par la mise en scène de Jean-François Sivadier est de faire du valet l’inventeur du personnage qui ne va pas tarder à arriver.
Ce double fantasmé se nomme Dom Juan, une apparition maudite qui va lui en faire voir de toutes les couleurs. Pour Sganarelle, le déroulé du spectacle va prendre les allures cauchemardesques d’une mauvaise descente de trip.
L’impeccable Vincent Guédon joue à merveille l’azimuté valet tandis que, dans le rôle de sa créature ingérable, Nicolas Bouchaud est un Dom Juan d’anthologie, qui se permet d’apparaître dans la salle en offrant des fleurs aux spectatrices, et plus tard de se réinventer en crooner pour interpréter Sexual Healing de Marvin Gaye.
Un nuage de spores mauves et hallucinogènes
A explorer ainsi Molière comme une terra incognita, chaque scène distille un concentré d’émotions à même de rassasier les attentes du public et de provoquer ses rires. Vincent Guédon et Nicolas Bouchaud nous offrent un exceptionnel numéro de duettistes. Ils inscrivent les rapports du maître et du valet dans la tradition d’un cirque à la cruauté sans pareille, où l’on s’affronte à coups d’idées noires en tirant sur la corde jusqu’à ce qu’elle rompe.
On a du mal à croire Sganarelle quand il affirme pour se dédouaner : “Je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n’est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit.” C’est dans un nuage de spores mauves et forcément hallucinogènes que Jean-François Sivadier fait disparaître Dom Juan dans les affres de l’enfer. Un finale qui permet à Sganarelle une sortie de crise à la hauteur du terrible délire qu’il vient de vivre. Du grand art.
Dom Juan de Molière, mise en scène Jean-François Sivadier, avec Marc Arnaud, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Vincent Guédon, Lucie Valon, Marie Vialle, du 14 septembre au 4 novembre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe, theatre-odeon.eu
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