Le metteur en scène Ivo van Hove est le dernier à avoir travaillé avec David Bowie pour “Lazarus”, la pièce musicale écrite avec l’écrivain irlandais Enda Walsh, à l’affiche du New York Theatre Workshop, jusqu’au 18 janvier. Il commente les paroles de la chanson “Lazarus”.
Lazarus
L’homme ressuscité d’entre les morts.
Lorsque j’ai reçu cette chanson par e-mail, je savais depuis plusieurs mois déjà que David Bowie était malade et condamné, mais qu’il voulait continuer à vivre. Ceci est la chanson qui a donné son titre à la comédie musicale qu’il écrivait avec Enda Walsh et qu’il m’avait demandé de mettre en scène.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un son surnaturel qui nous parvient de loin, tel un signe de mauvais augure, suivi par une introduction musicale : plainte, musique de douleur, souffrance physique qui paralyse.
Look up here, I’m in heaven
Je suis mort. Une phrase suivie de trois notes de guitare, fatales. C’est la vie.
I’ve got scars that can’t be seen
Les cicatrices de celui qui a choisi de vivre sa vie à fond, des cicatrices profondes, celles de blessures dont personne ne connaît l’existence. J’ai été marqué par la vie.
I’ve got drama, can’t be stolen
J’ai bien profité de la vie avec ses joies et ses pleurs. Tout cela, on ne pourra pas me le reprendre.
Everybody knows me now
Je suis à tous, pour tous, pour toujours.
La musique s’écoule, tels les grains d’un sablier, vers des horizons plus apaisés. La guitare cède la place au saxophone. La rage se transforme en souffrance.
Look up here, man, I’m in danger
Je suis en train de mourir. Il chante son agonie, sa peur de la mort.
I’ve got nothing else to lose
À part la vie, je n’ai plus rien à perdre.
I’m so high it makes my brain whirl
Je suis déjà au ciel, en pensée, je suis détaché de ce monde terrestre et je plane.
Dropped my cell phone down below
Je laisse tout derrière moi, je n’emporte rien avec moi.
Ain’t that just like me
Un peu d’autodérision.
By the time I got to New York
La musique se déploie : souvenirs.
C’est l’époque où pendant ma vie sur terre, j’ai décidé de m’installer à New York. “Mieux que Los Angeles et cent fois mieux que Londres. A New York, les gens qu’on rencontre dans la rue se contentent de dire, ‘Oh, regarde, c’est David Bowie !’ avant de poursuivre leur chemin.”
I was living like a king
Then I used up all my money
I was looking for your ass
La vie trépidante et bruyante de New York : soirées, drogue, sexe. Une vie remplie de tentations. J’ai bien vécu, j’en ai profité, je me suis amusé, j’ai brûlé la chandelle par les deux bouts. Je ne regrette rien !
This way or no way
She’ll know, I ‘ll be free
Il n’y a pas d’échappatoire. Et elle, mon amour, sait que je serai libre, libéré. De la terre. J’ai échangé la terre contre une “Blackstar”.
Just like that bluebird
Il aperçoit un oiseau bleu, symbole de chance en Amérique. Je suis heureux, ne t’inquiète pas.
Ain’t that just like me
Je suis ce petit oiseau, regarde bien. Je suis encore là, même si je suis mort. Il chante, heureux et plein d’espoir.
Oh I’ll be free
Un chant glorieux, extatique.
Just like… that bluebird
Oh I’ll be free
Ain’ that just like me
Il chante comme moi-oi-oi-oi-oi-oi-oi-. Il trébuche sur le mot. La douleur est trop vive, il ne peut plus parler.
Tout comme dans Heroes, la musique rage triomphante.
Le saxophone fait son retour. Bowie et le saxophone, couple inséparable. Une lutte contre la mort. Un combat pour rester en vie. Il ne voulait pas mourir. Il voulait continuer à vivre aux côtés de sa fille qu’il adorait et d’Imam, sa merveilleuse épouse.
Soudain, la mystérieuse mélodie du début revient : le son de cette guitare en colère. Comme un corps qui cesse de respirer. Un corps qui meurt. La guitare s’arrête sur un pincement de corde brusque et sec : fatal et impitoyable.
J’ai eu le privilège d’apprendre à connaître David Jones, l’homme qui se cachait sous le nom de David Bowie. Ceci est son testament.
Ivo van Hove
{"type":"Banniere-Basse"}