Pour donner sens au troublant vertige qui saisit le visiteur de l’exposition du Grand Palais consacrée à l’œuvre d’Irving Penn, qui, mort en 2009, aurait eu 100 ans cette année, il suffit de mesurer les écarts que son travail opéra en son cœur. Des écarts évidemment temporels, car l’œuvre se déploie du milieu des années 1940 […]
Entre sophistication et excentricité, Irving Penn a immortalisé stars, mannequins, anonymes ou natures mortes. Au Grand Palais, une expo retrace l’ensemble de l’œuvre du photographe américain.
Pour donner sens au troublant vertige qui saisit le visiteur de l’exposition du Grand Palais consacrée à l’œuvre d’Irving Penn, qui, mort en 2009, aurait eu 100 ans cette année, il suffit de mesurer les écarts que son travail opéra en son cœur.
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Des écarts évidemment temporels, car l’œuvre se déploie du milieu des années 1940 à la fin des années 2000 ; des écarts thématiques surtout, puisque plusieurs motifs esthétiques s’entrelacent : natures mortes, images de mode, portraits de stars, d’anonymes, où le glamour le dispute à l’ethnographie, le spectaculaire au vernaculaire, le lustre au rebut…
Un portraitiste majeur de la photo américaine du XXe siècle
Par sa durée, son épaisseur, son éclectisme et l’harmonie parfaite d’un geste photographique cohérent et fidèle à lui-même du début à la fin, sans aucun accident, l’œuvre d’Irving Penn touche les sommets iconiques de l’histoire de la photographie.
Ses portraits de stars (Duchamp, Capote, Hitchcock, Colette, Bacon…), dépouillés de toute recherche ornementale, sans artifice autre que celui d’une pure intensité du regard et d’une présence mystérieusement révélée (l’œil gauche de Picasso, les mains de Bergman sur son visage), l’ont posé comme portraitiste majeur de la photo américaine du XXe siècle, avec Richard Avedon (lui-même photographié par Penn).
Organisée en onze chapitres thématiques et chronologiques distincts, riche de 235 tirages, l’exposition montée en partenariat avec le Metropolitan Museum of Art de New York a pourtant le mérite de rappeler qu’en dépit de son classicisme indiscuté le travail de Penn échappe à tout académisme et à toute réduction trop simpliste.
Si ses photos de mode pour Vogue l’ont rendu célèbre, par la sobriété et la rigueur formelle de leurs cadres et de leurs lumières, l’artiste explora des voies plus troubles et plus risquées, souvent sublimes, à l’image de ses géniales natures mortes à la fin des années 1940, où le photographe prolonge une vieille tradition picturale remontant à Chardin.
Au-delà du cadre strictement glamour
Ses images de nus féminins, ouvertes à une pure recherche plastique, ses photos moins fumeuses que funestes de mégots de cigarettes, présentées sur des tirages grand format au platinium, ses portraits de familles de paysans incas à Cuzco au Pérou, d’indigènes de Nouvelle-Guinée ou du Maroc, photographiés dans son studio itinérant, ou de petits métiers en voie de disparition (rémouleur, bougnat…) tirent Irving Penn au-delà du cadre strictement glamour dont il se savait le maître.
La sophistication qu’il mettait dans la simplicité d’une pose, d’une posture, d’une expression du regard, autant que sa fantaisie associant des objets disparates font d’Irving Penn beaucoup plus qu’un photographe formaliste : un artiste total qui, abrité dans le refuge d’un studio accueillant, n’avait que la réinvention de la beauté pour conjurer la violence du monde. Jean-Marie Durand
Irving Penn Jusqu’au 29 janvier 2018, Grand Palais, Paris VIIIe
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