Aux Beaux-Arts de Paris, l’exposition Images en lutte retrace “une histoire politique du visuel”, de 1968 à 1974. Une période d’intense effervescence qui atteignit les champs artistiques les plus divers.
A peine arrivé aux Beaux-Arts, un sentiment de familiarité nous traverse spontanément. “La beauté est dans la rue”, “Nous sommes tous indésirables”, “L’art c’est vous”, “Nous sommes le pouvoir”… Dans le hall d’entrée sont affichés les slogans cinglants réalisées en mai 1968 par l’Atelier populaire, créé durant l’occupation de l’école des Beaux-Arts.
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De la subversion politique par l’affiche à la récupération marchande par le poster, ces centaines d’images pourraient se réduire à ce seul effet nostalgique et décoratif, comme la trace innocente du temps perdu de nos parents. Sauf que mêlées à tous les autres types d’images nées au sein de la culture visuelle de l’extrême gauche de 1968 à 1974 – films, peintures, sculptures, tracts… –, elles retrouvent leur part sulfureuse, résistant à la fabrique de l’oubli et à la neutralisation des marges.
Les liens de la culture politique et de la culture artistique
Ce moment particulier que cartographie l’exposition Images en lutte est “celui de l’histoire contemporaine où l’art et le politique, la création et les luttes sociales et politiques furent intimement mêlées, étroitement entrelacées”, selon les mots des deux historiens-commissaires, Philippe Artières et Eric de Chassey. Des affiches de l’Atelier populaire aux œuvres picturales de Gilles Aillaud, Bernard Rancillac, Gérard Fromanger, Julio Le Parc, Martial Raysse, Daniel Dezeuze, Claude Rutault, Olivier Mosset, des tracts situs aux photographies et aux installations de Michel Journiac, Tania Mouraud ou Annette Messager, toutes les traces de cette culture visuelle rappellent qu’au tournant des années 1970, la culture politique et la culture artistique avaient “parties liées”.
Comme le disait alors le peintre Gilles Aillaud (dont on découvre ici deux toiles magistrales, Serpent, porte et mosaïque et Louis Althusser hésitant à entrer dans la datcha Claude Lévi-Strauss…, peinte avec Eduardo Arroyo et d’autres), “toute forme est bonne si elle n’a pas elle-même pour fin”. Si les œuvres présentées n’ont pas comme fin exclusive un récit révolutionnaire explicite, toutes traduisent, en creux ou en surface, un imaginaire des luttes, disséminé et inflexible.
“Une histoire politique du visuel”
Au fil du parcours électrisant, structuré en sept sections, comme autant de grands axes de circulation dans un territoire touffu – “L’Ecole des Beaux-Arts”, “L’ailleurs fantasmé : Chine, Vietnam, Cuba, Palestine…”, “L’usine, l’exploitation agricole”, “L’université, l’atelier”, “Le bidonville, la prison, la maison, la communauté”, “La manifestation”, “Le corps” –, le visiteur explore ces élans traversés par l’idée d’un renversement du régime politique, sinon du régime de vie. Ce qui frappe et émeut, dans le même mouvement, c’est de mesurer à partir de ces œuvres que, plus jamais après “ces années 68”, il n’a existé un temps historique où les images ne soient pas seulement “les témoins des luttes” mais “leurs lieux et leurs armes”.
Entre 1968 et 1974, les avant-gardes n’avaient guère besoin d’adjectifs pour les qualifier : politiques ou artistiques, elles n’étaient au fond qu’une seule et même entité. En écho à la formule de Marx et Engels, “l’insurrection est un art”, toutes les pièces exposées ici oscillent entre le statut d’œuvre et celui d’archive, au point de recouvrer la même signification. Philippe Artières et Eric de Chassey insistent sur ce point en affirmant que “l’exposition n’est pas une histoire visuelle du politique mais une histoire politique du visuel”.
A l’image de l’arbre généalogique prolifique du gauchisme réalisé en 1977 par Michel-Antoine Burnier pour le magazine Actuel, on se perd ainsi dans une vaste carte rhizomique, où vibrent les élans des multiples organisations d’extrême gauche interdites dès juin 1968 et qui résisteront jusqu’à l’autodissolution de la Gauche prolétarienne en novembre 1973. Mais où vibrent aussi des formes esthétiques dispersées.
Aucune forme exclusive
L’engagement politique commun à tous les artistes n’exigeait aucune forme exclusive et rayonnait même dans des gestes et des humeurs opposés, entre joie pulsionnelle de l’engagement et mélancolie de l’échec, symbolisé par la mort de Pierre Overney, magnifiquement évoquée par Gérard Fromanger. Cette variation de gammes émotives et plastiques traverse toute l’exposition, où prend part la nouvelle figuration autant que le degré zéro de la peinture, incarné par Olivier Mosset ou par des membres de Supports/Surfaces (Dezeuze, Cane…), des films militants d’agit-prop autant que l’art corporel de Michel Journiac…
C’est dans ce fourmillement de traces évoquant une époque de soulèvements et de politisation des formes de vie que l’exposition Images en lutte puise sa force, arrimée à cette idée que l’art est ce qui rend la politique plus intéressante que l’art.
Images en lutte – La culture visuelle de l’extrême gauche en France (1968-1974) Jusqu’au 20 mai, Palais des Beaux-Arts, Paris VIe
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