Ils ont illustré l’Ancien Testament avec des images éclectiques de conflits piochées dans une banque alternative d’images. Pour eux, les punitions divines relatées dans la Bible font écho à celle des gouvernements modernes à l’égard des individus. Le duo d’artistes Broomberg & Chanarin expose au Centre Pompidou une installation invitant tout un chacun à développer une éthique de la violence physique.
Les images médiatiques tapent dans l’œil, stimulent les sens et les nerfs, puis, le plus souvent, elles s’évanouissent et ne refont jamais surface dans le paysage. A l’aune de la vie hyperactive des représentations, le duo d’artistes Broomberg & Chanarin a choisi d’examiner des images bien singulières, celles qui n’attirent pas, comme le ferait la photo pimpante d’une célébrité, mais piquent les yeux. Bien désagréables et polémiques, il s’agit de photographies liées aux guerres, aux catastrophes, aux conflits.
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L’essor de la photographie de guerre amateur
Dissoutes dans le flux d’images et la pluralité de supports de diffusion, ces photographies de conflits ont tendance à être présentées au même niveau qu’une publicité pour un shampoing ou qu’une photo de président. Elles demeurent malgré tout le grain de sable qui rouille la machine des représentations alléchantes majoritairement véhiculées dans la sphère médiatique. Elles choquent toujours autant et demeurent le pain quotidien de l’homme moderne, pressant chaque jour le bouton « power » de sa TV, de sa radio ou de son ordinateur. Pourtant, les photographies plus crues, les plus terribles, non censurées, n’apparaissent pas forcément en pleine couverture des journaux mainstream. Elles pullulent dans les tréfonds du web, des fils d’actualité Facebook aux albums privés, ou passent par des médias et blogs alternatifs.
En 2013, Broomberg & Chanarin ont réuni et cristallisé ces images circulantes de l’horreur dans leur installation Divine Violence, notant bien qu’elles ne sont plus l’apanage des photographes officiels de guerre depuis la démocratisation de l’appareil photo et d’internet. En tant que véhicules idéologiques, en quoi les images amateurs, choquantes sur un autre plan, impactent-elles les représentations contemporaines de la violence ? Comment les regarder ? A l’instar de leur inspiration majeure, Bertold Brecht, le duo d’artistes conçoit les images comme des hiéroglyphes à décoder. D’où leur installation Divine Violence qui invite le spectateur tout un chacun à s’en saisir et à développer une éthique à la fois du regard et de la violence.
Le pouvoir du contexte sur la force des images
Sans prétendre à la représentativité, ce duo d’artistes sudoafricano-britannique a puisé dans les réserves de l’Archive des conflits modernes basée aux Pays-Bas, une boîte de Pandore de documents éclectiques d’amateurs et de professionnels, dématérialisées ou tirées, liées de près ou de loin aux conflits. Tendresse de soldats nazis endormis sur une banquette, tours de magie, corps mutilés ou ensanglantés, portraits d’armes, bombes…Les images choisies et réunies au Centre Pompidou oscillent entre légèreté et insoutenable. Elles sont épinglées sur des pages d’une Bible, matrice de l’Occident, et prennent un aspect presque irréel au contact d’un récit inventé comme l’Ancien Testament. Divine Violence met ainsi en exergue le pouvoir du contexte sur la force des images.
Cette installation orchestre pourtant bien une collision entre deux réalités contraires, un récit mythique, dont on ne peut attester la vérité, et une histoire d’images photographiques bien réelles. On se rend compte que la violence semble plus insupportable lorsqu’elle est visuelle que lorsqu’elle est véhiculée par l’écrit. Mais surtout, l’installation immerge dans un récit hybride, où la réalité documentaire fait écho avec le récit de la Bible.
La violence physique, un instrument de gouvernance
Car la Bible ne relate pas seulement des histoires d’amour du prochain. Au-delà de la violence des mots, tranchant entre pur et impur, ce qui importe est la description des punitions divines perpétrées en cas de désobéissance à Dieu.
Dans l’Ancien Testament, ce dernier, scandaleux et colérique, fait pleuvoir du ciel du feu et du soufre sur les villes de Sodome et de Gomorrhe, « les donnant comme exemple aux impies à venir » (dixit la Bible, Pierre 2:6). Pendant 40 jours et 40 nuits, il orchestre un déluge pour éradiquer toute forme de vie sur Terre, à l’exception de l’arche de Noé. Il plonge dans les ténèbres l’Égypte, est à l’origine d’une épidémie de peste et de pustules, d’invasions de grenouilles, de taons ou encore de moustiques.
Les États ont-ils remplacé Dieu ?
Selon Broomberg & Chanarin, « Dieu se révèle majoritairement à travers la catastrophe. L’essai du philosophe Adi Ophir avec qui nous avons travaillé considère la Bible comme une parabole de la gouvernance moderne« . Et de fait, au-delà d’être un questionnement sur le pouvoir idéologique des images de conflits, l’installation Divine Violence met en avant le caractère infiniment politique de la Bible, un texte d’intériorisation de la violence et à même de faire plier les hommes aux injonctions de Dieu. A l’instar des gouvernements, États ou autres, qui emprisonnent et tuent.
La violence est une méthode d’administration des populations. Certes, les instances gouvernementales contemporaines semblent perdre de leur autorité. Bercées par l’idéologie néolibérale, elles tendent, particulièrement en Europe et aux États-Unis, à limiter leurs interventions dans les affaires sociale et économiques. Mais en réalité, les États tirent toujours les ficelles dans l’ombre, à coup d’incitations, et surtout conservent le monopole de la « violence physique légitime ». Elle a permis à Dieu de s’imposer, elle permet aux États de se maintenir.
Broomberg & Chanarin. Divine violence, Expositions, 21 février 2018 – 21 mai 2018, de 11h à 21h, Galerie de photographies – Centre Pompidou, Paris. Entrée libre. Commissaire : Mnam/Cci, Florian Ebner
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