Igor Mendjisky transforme le chef-d’œuvre de Mikhaïl Boulgakov en spectacle de cabaret. Une suite de numéros où la critique de l’URSS passe par un rappel du Nouveau Testament et un hommage au mythe de Faust.
Si la réputation de philosophe du Chat du Cheshire n’est plus à faire depuis les aventures d’Alice au pays des merveilles, il ne faudrait pas que la créature de Lewis Carroll fasse de l’ombre à d’autres félins de la littérature tout aussi pittoresques et bavards. Avec Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov convoque un gros matou capable de donner son point de vue sur tout… même quand on ne lui demande rien.
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Adaptant le roman pour la scène, Igor Mendjisky commence par faire du chat ténébreux un chanteur de music-hall en lui offrant un micro pour interpréter en russe le hit de Lou Reed, Perfect Day. Une manière de donner le ton d’un spectacle où, s’amusant des sonorités des voix de ses acteurs, il fait swinguer une tour de Babel de fantaisie où cohabitent les langues, du russe à l’hébreu en passant par le grec ancien et l’anglais.
Un acte de résistance ultime
Ecrit entre 1928 et 1940 dans une Union soviétique où la censure l’avait mis au ban des littérateurs, ce texte qu’il n’espérait plus voir un jour édité a été retravaillé par son auteur jusqu’à l’heure de sa mort. Mikhaïl Boulgakov y traite de sa condition d’écrivain à Moscou sous le stalinisme et rend un hommage démentiel au Faust de Goethe.
Sa plus évidente provocation, faire de ce récit une tribune évoquant Le Nouveau Testament à travers les figures du diable, du Christ et de Ponce Pilate à une époque où la seule religion d’Etat était l’athéisme. Acte de résistance ultime, le délirant chef-d’œuvre s’apparente à une suite de visions hallucinées nous racontant une réalité vécue comme la plus labyrinthique des folies.
“Une symphonie étrange mêlant le sublime et le chaos”
Réservant au programme de salle le soin de fournir les explications sur le contexte de son écriture, Igor Mendjisky opte pour un hommage solaire à cet auteur qu’il révère dans un parcours ludique et musical savamment débridé : “Le roman de Boulgakov est un bloc protéiforme et mystérieux. Il résonne en moi depuis longtemps comme une ritournelle, une musique venue de l’enfance ou plutôt une symphonie étrange mêlant le sublime et le chaos.”
Invitant son public à occuper des gradins dressés sur les trois côtés d’un plateau aux allures de ring, Igor Mendjisky place les spectateurs au plus prêt de l’action. Dans sa troupe, chacun interprète plusieurs rôles. Une façon de battre sans cesse les cartes du réalisme pour mieux donner corps à toutes les fictions. Avec ce cabaret dédié à l’illusionniste de génie qu’était Boulgakov, Igor Mendjisky nous gratifie en close-up d’un formidable exercice de style apte à séduire toutes les générations.
Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, adaptation et mise en scène Igor Mendjisky. Jusqu’au 10 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Paris XIIe. Du 6 au 27 juillet au 11-Gilgamesh Belleville, Avignon
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