Ida Tursic et Wilfried Mille revisitent joyeusement l’histoire de la peinture, accrochant entre autres people Iggy Pop et Michel Houellebecq à leur(s) tableau(x) de chasse fondamentalement pop.
“On aimait le contraste entre ces deux punks et le côté mémé du décor.” Les deux punks, ce sont , initialement photographiés par Philippe Matsas sur le tournage de Rester vivant, le documentaire encore en postproduction d’Erik Lieshout, inspiré de l’essai éponyme que Houellebecq publia en 1991.
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En arrière-plan, une tapisserie à fleurs et un canapé hors d’âge. Cette photographie bariolée, issue d’un carottage dans la riche banque d’images d’Ida Tursic et Wilfried Mille, a servi de modèle à la peinture miniature aujourd’hui taggée parmi des dizaines d’autres sur leur “mur” .
Cette galerie d’illustres peints sur de petits formats en bois (on y croise beaucoup d’artistes, de Matisse à Duchamp, des poètes et des écrivains, de Balzac à Burroughs en passant par Marguerite Duras, seule ou en compagnie de Jean-Luc Godard), épinglés sans hiérarchie, fait immanquablement penser aux icônes religieuses orthodoxes. L’exposition tout entière ressemble d’ailleurs à une discussion ininterrompue avec la longue histoire de l’art. Histoire, au propre comme au figuré, d’en rajouter une couche.
Bettie Page et les Trois Grâces
Prenez par exemple ce tableau magistral qui ouvre l’exposition : un paysage, genre à part entière de la tradition picturale. Si le corps féminin dissimulé en bas à gauche rappelle aux connaisseurs l’un des nus les plus mystérieux de l’histoire du XXe siècle (ce corps béant que Marcel Duchamp offrit en pâture à ses admirateurs pour son grand-œuvre dévoilé post-mortem, le fameux Etant donnés…), le positionnement dans les herbes folles de deux chiens voyeurs raconte une autre histoire de tableau célèbre.
Dans Suzanne et les vieillards, scène biblique maintes fois reproduite par Le Tintoret, Sebastiano Ricci ou Rubens, c’est la mécanique du regard qui compte : les vieillards, ici remplacés avec un certain humour par deux chiens fous, cherchent à épier les charmes de Suzanne, mais c’est nous, spectateurs, qui sommes les seuls à toiser l’anatomie complète de la belle noiseuse.
Avec les trois portraits en pied de Bettie Page qui s’alignent sur le mur d’à côté, c’est à un autre sujet récurrent de l’histoire de la peinture que s’attaquent Ida Tursic et Wilfried Mille. La rose, le dé et la branche de myrte peinturlurés sur le devant du tableau nous indiquent que nous sommes ici face aux Trois Grâces.
Mais le modèle, la célèbre pin-up des années 1950, tient la pose, immuable, refusant, comme c’est la règle, de se présenter sous toutes les coutures. Finalement, c’est un petit chien (décidément) en bronze, trônant à l’arrière sur un rebord de cheminée qui donne la mesure en se présentant de face, de biais ou les pattes en l’air.
Un clin d’œil à quatre figures de l’histoire de l’art
Dans ces tableaux à tiroirs, où se mêlent dans un grand concert icônes populaires et références à la peinture classique, on peut encore déceler d’autres preuves de l’érudition joyeuse et décomplexée des deux peintres. Ici, c’est une Nurse de Richard Prince que l’on devine à gauche de l’inébranlable Bettie Page ; derrière elle, on aperçoit le Nu descendant l’escalier de Gerhard Richter, emprunté à Duchamp. Sur la toile voisine se tiennent de part et d’autres du modèle central Mondrian et Mies van der Rohe. Et ainsi de suite.
On s’arrêtera finalement sur l’une des peintures les plus abstraites de l’expo, qui sous son lavis métallisé adresse un clin d’œil à au moins quatre signatures de l’histoire de l’art : Cézanne pour la silhouette de la montagne Sainte-Victoire, Van Gogh peut-être, pour le ciel étoilé qui se détache en fond, et Monet pour le champ de coquelicots qui a viré multicolore – à moins qu’il ne s’agisse d’un hommage politiquement (in)correct au dripping de Pollock ?
Elizabeth Taylor in a Landscape, Painting Nature’s Beauty and the Caress of the Smirking Sun over the Mountains jusqu’au 30 juillet à la galerie Almine Rech, Paris IIIe, alminerech.com
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