Sublimé par l’imaginaire de Patrice Chéreau, I Am the Wind de Jon Fosse puise à l’essence de la vie pour témoigner de l’impossible sauvetage d’un homme revenu du pays des morts.
Un paysage d’après la bataille, celui d’une grève désolée d’où la mer s’est retirée pour ne laisser derrière elle qu’une vaste flaque trouble, où surnagent entre deux eaux des débris épars témoignant de ce que fut la fureur de la tempête passée. Trempé de la tête aux pieds, un homme avance vers nous avec le regard vide du naufragé ayant, l’instant d’avant, perdu tout espoir de remettre un jour les pieds sur la terre ferme.
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Puisant dans ses dernières forces, il lance un ultime appel avant de s’effondrer sur le sable… « I didn’t want to… I just did it » (« Je ne voulais pas… Simplement je l’ai fait »). Un autre accourt, lui vient en aide, le réchauffe, le porte dans ses bras avec une infinie tendresse ainsi qu’on enlace un enfant quand il a fait un mauvais rêve.
Nous donnant le sentiment d’être les témoins d’un fait divers, Patrice Chéreau nous projette sur les lieux d’une scène de crime en dramatisant les premières minutes d’I Am the Wind (« Je suis le vent ») – une courte pièce de Jon Fosse qui, après Rêve d’automne, est la deuxième de l’auteur norvégien qu’il met en scène cette saison.
Créé en anglais au Young Vic Theater de Londres dans la traduction de Simon Stephens, I Am the Wind témoigne une nouvelle fois de cette exaltante liberté à travers laquelle Patrice Chéreau s’adonne avec une jubilation sans limites à l’exercice de son métier de metteur en scène.
S’emparant de l’elliptique dialogue de Jon Fosse et réunissant ses deux personnages dans un no man’s land, Chéreau les imagine en anges tourmentés pour insuffler à leur rencontre sur ce rivage abandonné l’énergie pure d’une relation s’inventant au gré des situations et nous plonger dans une fiction revisitant la littérature comme autant d’éclats de réel.
Alors, tel un Léviathan jaillissant d’un trou d’eau, un radeau dégoulinant se maintient en apesanteur au-dessus de la plage. L’invite à un voyage magique orchestré de main de maître par Chéreau en prestidigitateur de génie. Entre une croisière sur le tapis volant d’Aladin et les aventures de Tom Sawyer et Huckleberry Finn remontant le cours du Mississippi, nos deux héros réinventent le monde à travers un parcours d’émotions culminant dans un coup de tabac plus vrai que nature évoquant la tempête essuyée par le fantasque Peer Gynt d’Henrik Ibsen.
Tom Brooke (The One) et Jack Laskey (The Other), deux jeunes acteurs anglais travaillant aussi bien pour la scène que pour l’écran, s’avèrent des interprètes idéaux. Ainsi, celui qui appartient déjà au pays des morts et celui qui incarne son sauveur partagent des moments uniques qui font le sel de la vie. Comme on remonte un poisson accroché au bout d’une ligne, le défenseur du vivant ravive les souvenirs de son compagnon pour lui redonner le goût d’exister au présent. L
a parenthèse enchantée d’un cérémonial de deuil où se dénoue, fil à fil, cette étoffe qui selon Shakespeare nous constitue… celle qui a la légèreté du vent et dont les rêves sont faits.
Patrick Sourd
I Am the Wind de Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau, du 3 au 11 juin au Théâtre de la Ville, Paris IVe, en anglais surtitré, www.theatredelaville-paris.com En tournée du 15 au 18 juin aux Nuits de Fourvière à Lyon, du 30 juin au 3 juillet au Grec Festival à Barcelone, du 8 au 12 juillet au Festival d’Avignon.
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