Tourné vers le présent, Hubert Colas fait entendre à deux voix les questions d’Annie Zadek, jamais posées à sa famille exilée de Pologne, enfin écrites dans « Nécessaire et urgent ».
Un cube aux parois de verre et au sol grillagé est posé au centre du plateau. Les deux acteurs, Bénédicte Le Lamer et Thierry Raynaud, en surgissent et le quittent pour venir en avant-scène. D’un geste, l’un d’eux fait stopper la musique et détache, lentement, les mots. “C’était en quelle année déjà ?” C’est la première des 524 questions qui constituent le corps du texte d’Annie Zadek, Nécessaire et urgent, autant de questions « que je n’ai pas posées aux miens, sur eux et sur leur exil de la Pologne. En 1937, ils sont partis. Et comme cette génération de Juifs polonais et communistes, ils sont venus en France. »
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Questions d’ordre pratique qui cherchent à ancrer dans le réel les signes et indices de l’inévitable exil et du récit impossible, quand le pire s’est produit, aux générations futures. Partagées en cinq chapitres, toutes disent l’épaisseur du silence et de la chape d’oubli qu’impose la mesure du désastre et du massacre dont l’ombre de mort recouvre les survivants et leurs descendants.
Ces ombres, on les perçoit dans la palette des lumières qui enveloppent ou éclaboussent le cube de verre et dans la fumée qui s’échappe, par moments, du grillage au sol. Après les interrogations sur les causes et les modalités du départ, viennent celles concernant ceux qui sont restés en Pologne. Puis, là où l’angoisse se noue au silence, quand et comment ont-ils appris ce qui leur était arrivé ? « Qui vous l’a dit ? Qui vous l’a écrit ? (…) Est-ce qu’on vous disait quand ? Comment ? A quel endroit précisément ? Qui et combien exactement ? »
Le deuil de morts sans traces
Des questions qui restent souvent sans réponse dans les familles de survivants et qui ajoutent à la douleur du deuil de morts sans sépulture, celle du deuil de morts sans traces, rendus anonymes, innombrables, insituables. Insoutenable mise en abyme d’une destruction de masse qui, dans la mise en scène d’Hubert Colas, se dit à deux, génère un devenir commun où la parole se partage à travers la succession des questions et qui, dans le dernier chapitre, se tourne vers le présent.
Ce temps qui est celui qui importe le plus à l’auteur, porte ouverte sur l’à venir. On songe bien sûr au Livre des Questions d’Edmond Jabès : » Quelle est l’histoire de ce livre ? La prise de conscience d’un cri. »
Ouvrant lui aussi résolument sur le présent, Hubert Colas pose en écho ses propres questions : « D’où vient cette montée du racisme en France ? Cette non-acceptation des étrangers ? « , et les étend à la sphère intime des rapports amoureux, à ce qui fait qu’une relation continue ou s’arrête, qu’on reste ou qu’on part, qu’on endure ou qu’on résiste. En somme, à ce qui nous meut et “c’est là une question d’humanité actuelle”.
Nécessaire et urgent, d’Annie Zadek, mise en scène Hubert Colas. Du 12 mai au 4 juin au Théâtre de la Colline, Paris.
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