Le metteur en scène Hideto Iwaï a vécu son adolescence en reclus avant de s’ouvrir à la vie des autres pour en faire son théâtre. A Gennevilliers, il a construit une pièce avec les habitants, prolongeant l’expérience de l’écriture en partage.
Pour évoquer la vie du metteur en scène Hideto IwaÏ, on se doit de remonter à l’époque où il se vivait comme un étranger au monde. S’il n’a jamais été victime de harcèlements de la part de ses petits camarades à l’école, c’est qu’il se rangeait du côté des méchants, ceux qui cherchent l’affrontement et n’hésitent pas à frapper sur les autres au moindre prétexte. Tentant de contrôler ses pulsions agressives, Hideto IwaÏ développe par la suite un complexe de culpabilité qui le fait passer du statut de gamin violent à celui d’enfant angoissé vivant en permanence dans l’inquiétude d’être un danger pour autrui. A l’adolescence, il devient incapable de sortir de sa chambre de seize à vingt ans pour protéger les autres de sa propre cruauté.
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Un hikikomori, ou l’enfermement volontaire
Le cas de ce jeune bomme dont le père est chirurgien et la mère psychologue n’est pas isolé au Japon où l’on classe dans la catégorie des » hikikomori « , les personnes souffrant de ce syndrome les menant à un enfermement volontaire au cœur du milieu familial.
» Ma mère m’avait abonné à une chaîne du câble, je suis devenu un passionné de catch et de sports violents. Je jouais à des jeux vidéo et regardais aussi tous les films que je pouvais, car j’avais l’ambition de devenir un jour réalisateur de cinéma. Je voudrais préciser que la période où je suis resté enfermé était surtout très douloureuse car j’avais toujours le désir de sortir de chez moi, mais je n’y arrivais pas . »
Après une tentative de suicide avortée, sa crainte de mourir lui fait dire qu’il pourrait certainement vivre d’autres expériences que le cauchemar de cette solitude qu’il s’imposait dans la vie. Convaincu d’avoir à tuer une part de lui-même pour se libérer, il fait un premier pas vers les autres en réglant sans violence le problème de sa double personnalité.
» Plutôt que m’évertuer à vouloir à en finir avec cette partie de moi qui m’empêchait d’exister, je pense que la décision qui m’a sauvé fut de m’en séparer en la laissant vivre sa vie. Aujourd’hui, je demeure convaincu que cette part de moi est toujours enfermée dans ma chambre depuis que j’en suis sorti. »
Suivre un cursus d’acteur lui permet de renouer avec le monde. Inscrit au Toho Gakuen College of Drama and Music, une institution dédiée à une formation des comédiens suivant les principes de l’Actor Studio et la méthode Stanislavski, il continue à faire figure d’un rebelle à l’idée d’apprendre des autres. Sa découverte en 2002 du » Théâtre calme » cher à l’auteur et metteur en scène tokyoïte Horiza Hirata est une révélation.
» Plus qu’un accord intellectuel avec la théâtralité que je découvrais chez Horiza Hirata, la représentation de sa pièce Tokyo Notes m’a bouleversé à un tel point que je me suis mis à fondre en larmes au bout de trois minutes. »
Trouvant enfin un territoire où pouvoir fendre l’armure, Hideto Iwaï se lance dans l’écriture et l’interprétation de sa première pièce, Hikky Cancun Tornade, où il rend compte de son expérience d’Hikikomori et témoigne de sa passion pour les catcheurs masqués mexicains.
Témoignant d’un bel humour au regard de son parcours, ce premier succès qui vise aussi au poétique et à l’onirique décide de son avenir et l’installe d’emblée dans la profession comme un auteur, un metteur en scène et un acteur capable d’émouvoir autant que faire rire. A suivre La Main, une pièce construite à partir d’interviews des membres de sa famille où il donne au point de vue de sa mère autant de place qu’au sien. Les réactions positives du public l’incitent à privilégier le réel comme un ancrage à son théâtre.
» Au début, je me suis servi de mon histoire personnelle comme d’un matériau pour mes spectacles. Me délestant de ce poids d’année en année, je me suis ouvert à d’autres sujets avec le même souci de m’inspirer de leur vécu pour témoigner de l’existence des gens . »
Concevoir un spectacle avec les habitants de Genenvilliers
Multipliant ses interventions dans des groupes de paroles ou organisant des ateliers d’écriture, il dirige sur les mêmes principes plus d’une vingtaine de spectacles aux quatre coins du Japon. C’est après la découverte de l’un d’eux que Daniel Jeanneteau, le directeur du Théâtre de Genneviliers, l’invite à une résidence en France pour concevoir un spectacle avec des citoyens de sa ville.
Ayant passé plusieurs séjours à Gennevilliers depuis 2017, Hideto Iwaï commence par rencontrer les habitants. Fruit de plusieurs ateliers, son spectacle Wareware no moromoro (Nos histoires…) réunit des acteurs professionnels et des amateurs pour la mise en scène d’une série de textes-confessions écrits par les participants. Tout l’art d’Hideto Iwaï est de transformer l’intime de ces secrets qu’on lui confie en une fiction partagée.
» C’est la première fois que je travaille hors du Japon. Au début j’étais intrigué et même étonné qu’on puisse avoir l’idée de demander à un metteur en scène japonais de se lancer dans une telle entreprise. Mais plus le temps passe et plus je me rends compte que la différence de culture et la difficulté de communiquer sont devenues des atouts au regard de la sincérité de nos échanges et du travail accompli. Mettre en scène l’humanité de ces éclats de vie pour en faire un spectacle est un projet passionnant. »
Cette volonté de réunir l’art et la vie demeure toujours la raison première qui pousse Hideto Iwaï à faire du théâtre.
Propos recueillis par Patrick Sourd, traduction Aurélien Estager
Wareware no moromoro (nos histoires…), conception et mise en scène Hideto Iwaï. Du 22 novembre au 3 décembre, T2G, Théâtre de Gennevilliers. Festival d’Automne à Paris.
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