Plongée au cœur des répétitions de la pièce de Genet, Haute Surveillance, à la Comédie-Française, dans une mise en scène de Cédric Gourmelon. Un huis clos où la rivalité aiguise les sens et affûte les paroles.
Œuvre matricielle écrite derrière les barreaux en 1942, Haute surveillance, la première pièce de Jean Genet, est celle qu’il aura le plus remaniée et remise sur le métier, jusqu’à sa mort. En quarante ans, quatre versions sont éditées. C’est aussi la pièce qu’il a le plus décriée. Sans doute parce qu’elle contient en germe l’ensemble des thèmes qu’il ne cessera de creuser : l’enfermement revendiqué, l’exaltation du crime, la culpabilité sublimée en gloire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Obsession contre obsession. Haute surveillance est la pièce que Cédric Gourmelon a le plus mise en scène. “Je l’ai d’abord montée à l’école d’acteurs de Rennes, encouragé par Didier-Georges Gabily et Stanislas Nordey, suivie de deux autres versions au TNB de Rennes et au TGP de Saint-Denis. Ensuite, toujours de Genet, j’ai mis en scène Le Condamné à mort et Splendid’s. On en revient toujours à l’idée de personnages de même sexe qui sont enfermés. La tragédie advient par l’absence du sexe opposé. C’est la même chose dans Les Bonnes.
“Donner à entendre ce qu’il y a entre les lignes”
J’ai découvert la littérature en lisant à 20 ans son roman Notre-Dame-des-Fleurs. Je ne comprenais pas grand-chose à la pièce la première fois que j’ai monté Haute surveillance et, aujourd’hui encore, elle reste mystérieuse pour moi. Elle a quelque chose de mystique qui nous oblige à inventer notre croyance en l’invisible. Mon travail consiste à donner à entendre ce qu’il y a entre les lignes.”
Avec la création de ce texte sulfureux au Studio-Théâtre de la Comédie-Française en ouverture de la prochaine saison, Cédric Gourmelon signe donc sa quatrième mise en scène de ce huis clos pour trois taulards qui se termine en danse de mort. Autour du dénommé Yeux-Verts (Sébastien Pouderoux), dans l’attente de sa condamnation à mort pour le viol et le meurtre d’une fillette, gravitent deux voleurs qui se disputent son attention et ses faveurs, Maurice (Christophe Montenez) et Lefranc (Jérémy Lopez).
“On a tout entendu, tout vu”
Encore adolescent, Maurice le porte aux nues, alors que Lefranc jalouse Maurice, qui a pris en arrivant dans la cellule sa place privilégiée auprès du criminel. Un autre personnage brille par son absence, autour duquel se cristallisent les frustrations et les tensions : la femme de Yeux-Verts qui, illettré, communique avec elle par l’entremise de Lefranc qui lui rédige ses lettres.
Enfin, le rôle du surveillant général (Pierre Louis-Calixte) est celui qui a le plus évolué au cours des versions successives de la pièce. A lui revient le mot de la fin dans l’ultime édition de Jean Genet, où se condense l’analogie qu’il fait entre la prison et le théâtre. “On a tout entendu, tout vu. Pour toi et de ton poste, ça devenait cocasse ; pour nous, de l’œilleton du judas ce fut une belle séquence tragique, merci.” Une réplique directement corrélée à celle proférée par Yeux-Verts pour couper court à la confrontation entre Maurice et Lefranc : “Vous ne voyez pas qu’ici on fabrique des histoires qui ne peuvent être vues qu’entre quatre murs ?”
Tension de la langue, tonicité des corps
Au Français, le lieu de fabrication de Haute surveillance est la salle de répétition Boutté. Sous les entrailles de la salle Richelieu, les acteurs et le metteur en scène sont enfermés depuis un mois dans cette pièce nue lorsqu’on assiste au dernier jour de répétitions avant la coupure de l’été, le 20 juillet. Au sol, un rectangle aux dimensions d’une cellule est tracé au Scotch rouge. La fatigue des comédiens est palpable et irrigue autant le travail que le jeu qui se construit dans un rapport constant entre la tension de la langue et la tonicité des corps, entre attirance et répulsion, désir et rivalité, tendresse et violence.
Une évidente complicité les unit et cimente la construction de cette dramaturgie des corps qui se rapproche de la danse butô que Genet admirait tant. “C’est un poème partagé. Ce qui compte, c’est la langue et comment elle agit de façon organique sur les acteurs, relève Cédric Gourmelon. Il y a une tension à trouver dans les déplacements pour que la poésie des corps fasse entendre celle des mots.” La danse est plus qu’une référence liée à l’auteur, elle est au cœur de la pièce, comme dans ce moment où Yeux-Verts essaie de remonter le temps et de défaire son crime.
“C’est un espace mental très contrasté, en noir et blanc”
Entreprise vouée à l’échec que l’on ne verra pas lors de cette répétition, mais que Cédric Gourmelon nous décrit : “Cette danse participe de son récit sur le mystère du criminel, son angoisse, son désir de revenir sur le passé pour annuler son acte, son envie d’être un autre. Il le revit en le disant. Avec Sébastien (Pouderoux), on a travaillé sur un mouvement stéréotypé de balancement comme en ont les autistes, un mouvement un peu chamanique pour convoquer l’esprit du mal.”
Reste maintenant à répéter dans le décor et les lumières qui, eux aussi, se réfèrent directement au butô. “C’est un espace mental très contrasté, en noir et blanc. Les murs seront d’un noir mat très profond emprunté au noir absolu d’Anish Kapoor. Pour agrandir l’espace et annuler ses contours, l’angle entre les murs et le sol sera gommé par une courbe.” Un vortex troué ou souligné par les lumières d’Arnaud Lavisse pour découper au scalpel ou plonger en contre-jour au cœur des ténèbres carcérales.
Haute surveillance de Jean Genet, mise en scène Cédric Gourmelon, avec Pierre Louis-Calixte, Jérémy Lopez, Christophe Montenez, Sébastien Pouderoux, du 16 septembre au 29 octobre, Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Paris Ier
{"type":"Banniere-Basse"}