Il sera bientôt difficile de passer à côté de sa gueule d’ange et de ses vannes à l’acide. Avec Haroun, on a parlé de Louis C.K. et de Ricky Gervais, du rôle des humoristes dans le débat public et des sales habitudes de l’humour en France.
« Il faut se débarrasser de la question : ‘peut-on rire de tout ?’ Il faut rire de tout. » Haroun n’a pas compris quand France 2, dans une émission présentée par Michel Drucker, a raboté ses vannes sur Robert Ménard et les Musulmans, le SIDA en Afrique, la nausée devant Touche pas à mon poste… Dans le spectacle qu’il joue en ce moment au République, à Paris, Haroun ne s’embarrasse pas de précautions particulières pour poser son humour noir sur tel ou tel sujet. Ou plutôt si, justement : derrière ses airs proprets, il tient à taper là où ça fait mal, là où ça frotte, là où ça gêne, mais sans prendre vraiment partie ni discriminer qui que ce soit.
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Dans l’émission de France 2, Haroun est présenté par Michel Drucker comme le « coup de coeur » de la « nouvelle génération » d’humoristes à qui on « donne un coup de pouce ». Mais Haroun n’a pas attendu Michmich pour se bouger. Passé par le Jamel Comedy Club, les scènes ouvertes, la danse, l’impro, les cafés-théâtres, il décolle en ce moment vers ce qui ressemble à de l’humour et de l’écriture à plein temps. « J’ai commencé en allant voir directement le public, dit-il quand on le rencontre autour d’un thé. Avec Thierno Thioune, mon metteur en scène, j‘ai essayé plein de formes, plein de personnages, plein de tons avant d’avoir un spectacle complet. »
Haroun vient de Bures-sur-Yvette, un coin tranquille du 91. Il fantasme dès l’enfance sur le métier d’humoriste en découvrant Coluche, Les Inconnus et Gad Elmaleh. Avec cette idée dans un coin de la tête, il se lance plus tard dans des études de commerce, part habiter quatre ans à Toulouse et devient formateur en impro dans les entreprises – tout ça en entretenant son travail d’écriture et de scène en amateur. Aujourd’hui, il n’a « plus le temps » pour être formateur – signe que ça commence à devenir sérieux du côté de l’humour. La preuve : il écrit « tous les jours » car « il faut écrire tout le temps et beaucoup pour ne garder que le meilleur ».
« C’est comme un sport, ajoute-t-il, il faut se muscler. » Fan de Ricky Gervais et de l’humour anglais, agacé par les complexes face à l’humour américain, persuadé que les humoristes ont un rôle à jouer dans le débat public en France, Haroun revient avec nous sur la vision qu’il s’est forgé de l’humour en général et de son travail en particulier.
Ta vidéo en réponse à France 2, c’est une façon de communiquer ou un vrai agacement de voir tes sketchs rabotés ?
Haroun – C’est quand même embêtant de couper une chute ! Surtout sans te prévenir. C’est frustrant. J’avais envie que ça passe, et que les gens trouvent ça mieux. Même si en tant qu’artiste, ce n’est pas mon problème. Le public prend les choses comme il le souhaite. Après, moi, je n’ai pas parlé de censure. La censure, c’est une intention morale. Cette histoire s’est emballée à cause de ce soupçon de censure. Je n’en sais rien, en fait. Et le résultat est le même. Une coupe, c’est une coupe. Peu importent les intentions derrières.
C’est donc artistiquement, en tant qu’auteur, que ça t’a gêné d’être coupé ?
Oui, surtout sans que je sois prévenu. Je peux comprendre quand c’est trop long, ou si c’est mieux d’enlever certaines choses. Chacun ses contraintes, chacun son public. Mais je ne veux pas m’étaler là-dessus. Comme je l’ai expliqué à Télérama, ce qui m’énerve, au fond, c’est qu’on se permette ça avec les humoristes. J’ai envie qu’on remette l’humour à sa place, et qu’on considère les humoristes comme des gens influents, qu’on écoute ce qu’ils disent. J’avais ce rapport-là avec les humoristes qui m’ont donné envie de faire ce métier.
Pourtant les humoristes sont plus que jamais présents dans les médias. C’est même parfois difficile de les distinguer des journalistes.
Je pense que c’est dû à un désintérêt pour la politique, ou du moins pour les politiques. Le 16 avril, je vais faire une date spéciale au Gymnase où je vais parler de notre position en tant qu’électeur. C’est quoi, faire un choix ? Voter, ça veut dire quoi ? Et ne pas voter ? C’est une réflexion que je suis en train de mener. À partir de quand fait-on de la politique ? Les humoristes sont trop souvent segmentés. Un Desproges ou un Coluche, tu ne sais pas vraiment s’ils sont de droite ou de gauche. Ils tapent sur tout le monde.
D’après toi, les humoristes ont un rôle spécifique à jouer dans le débat public ?
Qu’on ait un rôle ou pas, on a un impact. Un humoriste ne sert pas qu’à divertir. On dit des trucs. Et on est responsables de ce qu’on dit, et des images qu’on véhicule. Si tous les humoristes font des vannes sur les Roms, les gens vont se dire que c’est okay et vont en faire eux-mêmes.
Beaucoup de nouveaux humoristes, qui en général se revendiquent de Louis C.K., se placent dans un registre personnel, voire intime dans leur humour. Ils parlent du monde à travers cette intimité.
C’est surtout ça que je vois chez Louis C.K. Son point de départ est introspectif, mais l’extrapolation qu’il en fait veut dire plein de choses sur la société. C’est beaucoup plus politique qu’on ne le pense. Quand il parle des vidéos des enfants de ses amis sur Facebook, il parle de notre rapport aux réseaux sociaux et aux autres. Le défaut, souvent, c’est d’essayer de reproduire ce qu’on croit être drôle. Chez Louis C.K., le piège, c’est de croire que c’est le fait de parler du quotidien ; alors que non : il parle de nous, de nos travers.
Une autre chose dans l’héritage de Louis C.K., c’est de réussir à parler des communautés en développant un discours de justice sociale. En France, on se moque souvent frontalement des minorités.
L’humour est souvent basé sur le cliché. Et le travail de l’humoriste, c’est de montrer l’erreur. Ce qu’on a du mal à faire, en France, c’est pratiquer une vraie autodérision. On a toujours peur du regard des autres. Les Américains sont beaucoup plus confiants. On est très esthètes, en France. On veut être stylés. Et ça, ça peut nous brimer. On a peur de montrer nos erreurs. Mon sport, quand je parle du racisme et des communautés, c’est de dire que moi, je suis un connard de penser ceci ou cela. Desproges, quand il fait une blague sur les Juifs, on capte très bien qu’il ne se moque pas vraiment des Juifs, mais des antisémites. Et de lui-même.
Qui te faire rire aujourd’hui ?
Je ne suis pas beaucoup l’humour, mais Ricky Gervais me fait vraiment marrer. Stewart Lee aussi. C’est un peu un humoriste pour humoristes, je trouve. Il est très lent, très nonchalant, il prend le temps de développer ses idées. J’aime bien les Anglais, en fait. En France, j’aime bien Blanche Gardin, Bun Hay Mean… Le Comte de Bouderbala, aussi, qui est un modèle de carrière pour moi. Il m’a donné espoir dans ce métier. Sans parler des anciens. Les Inconnus, c’était fou pour moi avant.
Qu’est-ce qui te fait rire en général ?
L’hypocrisie. Je trouve ça hyper drôle, l’hypocrisie. C’est une source d’inspiration sans fin. Dès que tu vois un truc pas tout à fait juste chez quelqu’un, un petit mensonge, comme ça, en passant… Et on est tous hypocrites par moments, on veut tous se représenter la vie qu’on voudrait avoir, et on fait tous cela en mentant aux autres.
Et qu’est-ce qui ne te fait pas rire ?
Le plagiat, ça ne me fait pas rire. Les gens qui racontent leur vie non plus. C’est souvent très impudique, à la limite de l’indécence. Louis C.K. le fait très bien parce qu’il va loin dans l’introspection, mais je préfère parler du monde autour de moi. Les vannes mal renseignées aussi, ça ne me fait pas rire. Ceux qui font l’ »accent africain », par exemple. Ça n’existe pas, l’accent africain ! Demande à ces personnes de faire un accent congolais, tu verras… Il ne faut jamais oublier que les humoristes transmettent des messages. On n’a pas le droit de tomber dans la facilité.
propos recueillis par Maxime de Abreu
stand-up Haroun en prolongations à Paris, au Théâtre Le République, jusqu’au 28 avril prochain, et date exceptionnelle le 16 avril au Théâtre du Gymnase
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