Prince du Danemark d’exception, Denis Podalydès se pique au jeu de Dan Jemmett transposant Shakespeare dans l’arrière-salle d’un pub.
Rattrapée par une loi des séries qui veut que les meilleures d’entre elles évoquent invariablement Shakespeare, La Tragédie d’Hamlet dans la mise en scène de l’Anglais Dan Jemmett oublie la fantomatique silhouette du château d’Elseneur pour s’inscrire dans la très glauque salle de réception d’un club-house londonien. Une institution dédiée aux membres d’une équipe d’escrime dont les trophées innombrables couvrent les étagères, du bar au juke-box et aux toilettes qui, dans un écorché architectural saisissant, trônent comme deux tours à l’avant scène en annonçant la couleur d’une poésie qui ira se nicher jusque dans les pipi-rooms.
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Dans l’Angleterre du Swinging London des années 70 où les cols pelle à tarte et les pantalons pattes d’eph font fureur, le lieu sert de couverture à une bande de maffieux au gosier bien en pente. Ici, on arrange les coups avec des enveloppes remplies de liasses de biftons et, si ça ne suffit pas, on sort le Browning. Telle est la Cour de Claudius (Hervé Pierre) qui vient de se débarrasser de son frère, pour reprendre en main ses affaires et se marier en prime avec sa femme Gertrude (Clotilde De Bayser), la mère d’Hamlet (Denis Podalydès).
ventriloque et graffiti
Dans le rôle de l’Anglais excentrique, Dan Jemmett aurait pu se contenter de poser ainsi son décor et de laisser filer la ligne… Mais, se prenant au jeu de la métaphore in situ, il relie chaque action de la pièce à son propre univers décalé et transforme le parcours piégé du scénario shakespearien en autant de défis à relever. Poussant le bouchon toujours plus loin, la soirée à surprises n’est plus alors qu’une suite de moments purement jubilatoires.
Ainsi, le Spectre (Eric Ruf) qui se dirige d’abord d’instinct vers le bar, avant de livrer son message de vengeance, s’avère totalement impayable. Tout comme l’idée géniale d’incarner les personnages de Rozencrantz et Guildenstern dans un numéro de ventriloque où Elliot Jenicot a pour partenaire la marionnette d’un chien tordant. Ou encore de faire de la scène du roi et de la reine de comédie, un cabaret et le rappel du défilé traditionnel cockney des Pearly Kings and Queens.
Si l’on vous dit qu’Ophélie (Jennifer Decker) meurt sur la cuvette des toilettes tandis qu’Hamlet découvre, à côté du distributeur de préservatifs, le graffiti qui lui donne l’idée de sa fameuse tirade “Etre ou ne pas être”… vous conviendrez que Dan Jemmett met la barre très haut et ne lâche jamais le morceau. Podalydès en tête, la troupe du Français s’abandonne à cette folie pince sans rire avec élégance et brio. Honni soit qui mal y pense.
Patrick Sourd
La Tragédie d’Hamlet, de William Shakespeare, mise en scène Dan Jemmett, Comédie française, salle Richelieu, en alternance jusqu’au 12 janvier, tel 0 825 10 1680. www.comedie-française.fr
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