Laboratoire expérimental de création et d’idées, l’exposition “Symbiosium” réunit une trentaine d’artistes et de collectifs à la Fondation Fiminco à Romainville. Une proposition hors les murs du Centre Wallonie-Bruxelles/Paris, prolongée de performances, DJ-set, projections, conférences ou podcasts, pour ranimer le désir d’alternatives à l’ère de l’extinction programmée.
Des légumes lacto-fermentés dans une exposition ? Oui, mais à condition de repenser de fond en comble ce qu’une exposition pourrait être : un écosystème donc, où tout est maintenu à l’état expérimental des alliances à inventer. Là, les humain·es deviennent les invité·es et les témoins des alliances nouées par un vivant expansif, ses modes d’organisation horizontaux et ses stratégies de survie désirantes.
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Alors, il faudrait commencer par le début. Car il aura fallu, pour cela, écrire des manifestes. L’ambition stellaire des deux commissaires de la proposition ne vise rien moins que cela. Christopher Yggdre est auteur, curateur et scénariste-réalisateur, et Stéphanie Pécourt directrice du Centre Wallonie-Bruxelles/Paris.
Tous deux ont décidé de convier des artistes autour de contre-figures d’une modernité paralysée : ils et elles sont les inventeur·rices, expérimentateur·rices et penseur·euses d’autres manières d’être vivant·es. Avec un même désir d’élire comme anti-modèles les oubliés du vivants, ces “algues, champignons, coraux, plantes, micro-organismes” et autres dissident·es d’un techno-pouvoir coopté qu’ils et elles désirent dès lors se réapproprier.
Au nord de Paris, la jeune création vibre
Stéphanie Pécourt à l’origine de la morphologie de cette polymorphe carte blanche qui hacke les évidences, avec la complicité du Centre ont trouvé, pour accueillir leur projet un peu fou, un point de chute temporaire à la Fondation Fiminco, pour mieux déployer durant la fermeture pour travaux du Centre Wallonie-Bruxelles/Paris ce volet conçu dans le cadre de la Saison TroubleFête#Cosmogonies Spéculatives. À Romainville, depuis 2019, un nouveau hub artistique est venu élargir la carte de ces lieux dans l’espoir de sentir vibrer la jeune création.
Au sein des quelque 11 000 mètres carrés, on y trouve, autour d’une cour ombragée, des galeries comme Air de Paris, Jocelyn Wolff, les réserves du Frac Île-de-France, et enfin, la Fondation Fiminco, dirigée par Katharina Scriba et composée de résidences d’artistes et d’un vaste espace d’exposition en recomposition permanente.
La Chaufferie, c’est son nom, est le théâtre des opérations de cette nouvelle post-exposition, qui aurait des allures à avoir accueilli une rave party. Son volume monumental laissé brut, en béton, brique et verre, a fièrement conservé les cicatrices d’un passé industriel devenu terrain de jeu pour la jeune création.
Une exposition où rien n’est figé
C’est alors en soi, parce qu’indéterminé, un terrain d’opération idéal pour l’exposition évolutive Symbiosium, qui lorgne déjà vers le format du festival par sa riche programmation associée, avec une dizaine de commandes in situ, des performances, DJ-set, projections, conférences, éditions, podcasts et ateliers.
On dit souvent que les musées et les lieux d’art en général sont porteurs d’une étrange malédiction : toute matière y rentrant meurt, se pétrifie ou se momifie. Ici, cela serait tout le contraire. Une exposition, qui, on le comprend, refuse de dire son nom, d’épeler son assignation à matière morte, pour au contraire se délecter avec facétie de néologismes.
Il s’agit d’un “symbiosium”, nous glissent les commissaires, un mot qui détourne le quelque peu rébarbatif symposium académique, pour lui greffer cette autre notion de “symbiose” : d’union entre deux organismes vivants, d’étroite union entre des registres que tout oppose d’ordinaire. On le comprend dès le titre : peu importent les héritages, car ici, il s’agira de les faire bugger, glitcher, et proliférer en l’absence de tout contrôle totalisant ou vision de surplomb.
Nature, culture, symbiose
On pourrait alors, une fois ces préliminaires esquissés, revenir à ces histoires de bocaux lacto-fermentés. Parmi la trentaine d’œuvres, d’artistes et de collectifs, le plus souvent nomades, inassignables, et œuvrant entre les disciplines, l’art, la science, la recherche et les nouvelles technologies, se trouve le collectif Les Matribiotes.
Celui-ci est composé des jeunes artistes Luz Moreno et Charlotte Gauthier van Tour. Pour l’exposition, elles ont conçu la pièce-univers Symbiosium (2022) : soit une structure conçue comme une installation totale, de textile et de matières organiques, venant dessiner une scène de théâtre, ou une table de négociations, à partir de matières naturelles employées comme les pigments d’un peintre, des huiles, de l’argile, du sel ou du kéfir.
On le comprend, impossible de ne jamais vraiment deviner d’avance à quoi s’attendre, d’un jour à l’autre. Puisque tout évolue, comme un laboratoire dont le chaos serait générateur d’autres horizons, rien n’est figé : on découvre des états de matières, de conversation, de bio-corps ou de techno-organes, comme autant d’arrêts sur images.
D’autres environnements prolongent l’écoute au vivant. À l’instar du cycle des MycoTemple de Côme Di Meglio, soit des architectures générées un champignon ou encore, le Somatic Communism [communisme corporel] d’Ève Gabriel Chabanon, faisant iel aussi appel aux modèles d’organisation sociale d’un champignon également, cette fois-ci enclos, permettant de voir évoluer une micro-société et ses circuits d’échanges.
Naviguer avec d’autres cartes
Cela se matérialise également par de nouvelles applications expérimentales bio-techno-augmentées, orientées vers le développement d’applications potentielles. La proposition mêle les échelles temporelles, invitant à vivre l’instant, revenir encore, constater les évolutions, mais également à se projeter dans un futur proche, que tout ici concourt à invoquer d’une puissance désirante.
La pensée non-disciplinaire des artistes, en cela, débouche tout autant sur les maquettes en impression 3D ou béton écologique inventé par l’artiste Jérémy Gobé, prototypes orientés vers la protection des barrières de corail ou pour prendre un autre exemple, le dispositif Temps Zéro de Marie-Luce Nadal, venant queeriser les rêves de maîtrise de l’atmosphère pour réorienter les dispositifs techniques exploratoires à des fins cette fois-ci écoféministes.
Enfin, parmi les multiples univers collectifs, inclusifs et post-naturels qui essaiment de toutes parts, il manquait peut-être encore une dernière famille d’œuvres. Celle-ci concernerait la conception d’autres cartographies, d’autres instruments de navigation qui permettraient de se repérer sans point de vue de surplomb au sein de ces plurivers en expansion.
Le collectif de recherche DISNOVATION.ORG, qui œuvre entre art, recherche et hacking au fil d’investigations décentralisées et décroissantes, propose un Bestiaire de l’Anthropocène. Mise à jour des anciens atlas illustrés, il s’agit d’un atlas exposé tel qu’élargi ces nouveaux spécimens hybrides, jaillis des modifications délétères et génératives de l’action humaine. Chimères, sorcières, hackeur·euses et autres microplanctons : le rendez-vous est pris pour entrer en symbiose.
Symbiosium, du 18 mars au 6 mai à la Fondation Fiminco à Romainville, une carte blanche au Centre Wallonie-Bruxelles/Paris hors-les-murs dans le cadre de la Saison TroubleFête#Cosmogonies Spéculatives.
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