Le premier solo de Lou Fauroux s’attaque à bras le corps, mais en communauté inclusive, aux monopoles des GAFAM. Films, sculptures et installations développent une fiction spéculative où Google aurait développé un programme d’immortalité. Une révélation.
“Maintenant, hackons !” L’exclamation émane à l’unisson de trois amazones attablées en cercle, chacune revêtue de leur combinaison d’attaque. Qu’elles soient vêtues d’un cuir rouge de raveuse, d’un imperméable jaune translucide ou d’un déshabillé rose emplumé, le plus important reste qu’elles soient appareillées : casque de réalité virtuelle sur les yeux, leur arme-clavier est devant elle et les manucures gel pianotent sec.
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En fond, la cible de l’attaque s’affiche. Soit l’empire Google qui, début 2048, a accru son monopole sur la Terre, jusqu’à développer un logiciel d’immortalité digitale : le Google-Verse. La privatisation rampante du monde digital s’est dès lors accélérée, étendant son emprise à toutes les échelles de l’existence – et annulant son ultime frontière, la mort.
Le web, ses prémisses utopiques et son présent élitiste
Or, ce programme transhumaniste est, on le comprend vite, réservé à une élite financière, et la dernière frontière, franchissable seulement pour les portefeuilles les plus rembourrés de Bitcoins. Alors, la cible des hackeuses sera celle-ci : pirater le programme, pour le rendre accessible à tous·tes, renouant avec les premiers idéaux du Web 1.0 des années 1990 orienté vers l’élaboration de communs – des ressources en accès libre.
Le film Genesis de Lou Fauroux, jeune artiste née en 1998 diplômée de l’École des Arts Décoratifs de Paris, développe la narration de ce hack (spoiler : il sera réussi, et une version copyleft du programme updloadée sur YouTube en version tutoriel) au sein de sa première exposition monographique.
Au fil des deux étages de la Galerie du Crous à quelques pas des Beaux-Arts de Paris, elle met en espace son projet en cours WhatRemains (2022). Augmenté de sculptures et d’installations, en regard avec deux autres vidéos, le corpus effectue la mise à jour les travaux des artistes de la génération 2010 du Post-Internet.
L’émancipation à portée de hack
Lou Fauroux émerge dans le paysage artistique comme une artiste salutaire qui s’empare à nouveau, et comme l’une des trop rares, des enjeux éthiques des nouvelles technologies, et ce, par le versant de ses structures de pouvoir : la visualisation des monopoles établis, tout autant que l’imagination de stratégies d’émancipations.
Seulement, en une poignée d’années accélérées, les lignes de force ont bougé. L’écosystème de l’exposition a beau se placer dans une temporalité alternative, sa pensée a les deux pieds dans le moment présent ambigu. Certes, la communauté est une sororité féminine et queer, mais ses possibilités de survie s’amenuisent face à un monde terrien aux ressources qui s’épuisent.
Une nouvelle lignée
On retrouve, en Lou Fauroux, et depuis sa communauté où l’on reconnaît au passage quelques artistes de sa génération, quelque chose comme une alliée des recherches d’une artiste comme Alice Bucknell, pareillement l’une des nouvelles voix d’une pensée techno-émancipatrice.
Mais l’on entend également résonner, en toile de fond sourde, l’horizon d’un survivalisme décroissant tel qu’abordé notamment par le penseur de la technique Jonathan Crary dans son dernier pamphlet Scorched Earth [terre écorchée]. Précisément, cette ambiguïté-là est productrice, et l’artiste regarde en face sa texture anti-escapiste.
Une manière de ne pas renoncer à deviser d’autres mondes communs, et d’affirmer au passage que s’il n’y a plus de dehors au continuum technologique, alors autant l’infiltrer dès maintenant pour en détourner le cours et préserver la possibilité d’un futur, un autre.
Lou Fauroux. WhatRemains, jusqu’au 18 février à la Galerie du Crous ; et du 5 avril au 23 avril dans le cadre de 100% L’EXPO à La Villette à Paris.
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