Guy Cassiers s’en remet à l’intime, au singulier, au cœur battant des sentiments en suivant monsieur Linh, contraint de fuir son pays avec sa petite fille.
Ce sourire tendre qui illumine sa voix est le leitmotiv du monologue de Jérôme Kircher. Sa bouée de sauvetage. Son passeport pour l’inconnu. Il englobe tout sur son passage : le récit du narrateur qui nous embarque pour un long voyage, l’exil de monsieur Linh tenant un bébé dans ses bras, son arrivée dans un pays étranger dont il ne comprend pas la langue, son amitié avec monsieur Bark qui se passe de mots pour parler avec le cœur.
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Le roman de Philippe Claudel suit pas à pas l’odyssée de M. Linh quittant son pays en guerre, sa famille massacrée par une bombe, ne gardant sur lui qu’une photo, une poignée de terre et ce bébé, sa petite fille retrouvée aux côtés de ses parents morts, intacte, sa poupée à la tête arrachée couchée auprès d’elle.
L’image vidéo relaie, amplifie et accompagne le jeu
L’horizon du pays natal – qui s’éloigne sur le bateau où il se tient – et celui du pays d’accueil – où on le place dans un foyer de réfugiés – sont comme un fil étiré jusqu’à la cassure, la disparition des repères. Sur le plateau, ce sont les lettres du mot horizon qui s’écartent et s’évanouissent dans le noir de l’écran.
Comme toujours chez Guy Cassiers, l’image vidéo relaie, amplifie et accompagne le jeu de l’acteur. Jérôme Kircher est à la fois M. Linh et son ami, M. Bark, rencontré sur un banc public. Sur l’écran, l’image de l’acteur se dédouble, tient tous les rôles. Un montage qui conjugue des images déjà filmées au tournage en direct sur le plateau.
M. Bark est un solitaire lui aussi, veuf depuis quelques mois, qui s’attache à M. Linh et lui rend la vie plus douce, l’arrachement de l’exil moins douloureux. “Grâce à monsieur Bark, le pays nouveau a un visage, un sourire, un poids.” Et lorsqu’il pose sa main sur son épaule, M. Linh songe que ce geste, c’est tout ce qu’il souhaitait au milieu de cet océan d’inconnus où il se perd.
Tragique, forcément tragique
Des lignes blanches, des mots qui surgissent et clignotent, l’environnement visuel projeté sur l’écran radiographie l’errance de M. Linh dans ce pays aux saveurs fades, à la saison froide et aux règlements qui ne collent pas avec la vérité du personnage, sa folie peut-être, son garde-fou sûrement.
Du jour au lendemain, on l’emmène loin de son foyer, dans un hôpital ou une maison de retraite où il doit garder jour et nuit son pyjama et sa robe de chambre bleue. Pour retrouver son ami, monsieur Linh devra s’enfuir, parcourir l’étendue d’une ville inconnue.
L’issue du voyage, on ne la dévoilera pas. Car ce qu’il y a de prodigieux dans ce spectacle, c’est d’être nous aussi perdus, sans repères logiques pour comprendre ce qui se joue. Seule la tendresse a du sens et nous éclaire. Et aide à supporter le dénouement. Tragique, forcément tragique.
La Petite Fille de monsieur Linh de Philippe Claudel, mise en scène Guy Cassiers, avec Jérôme Kircher, du 3 au 5 mai, Théâtre de Namur ; du 25 au 31, Théâtre national (Bruxelles)
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