En grève depuis six jours, le Magasin de Grenoble, fer de lance de l’art contemporain en région, traverse de graves difficultés. Tentative d’éclaircissements.
Disons le tout de suite : le centre d’art du Magasin de Grenoble compte parmi les pôles les plus attractifs pour l’art contemporain en région. Avec, entres autres, des cartes blanches magistrales offertes à Mike Kelley, Dominique Gonzalez-Foerster, Liam Gillick, Jim Shaw, Lili Reynaud Dewar ou Isabelle Cornaro, il offre depuis bientôt trente ans la preuve que les programmations les plus pointues ont souvent droit de cité hors de la capitale : à Grenoble donc, mais aussi Dijon, Nice, Rochechouart, Sérignan, etc.
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L’affaire qui nous occupe aujourd’hui est donc d’autant plus regrettable. De quoi s’agit-il exactement ? Depuis six jours, une partie du personnel du centre d’art est en grève et réclame la démission imminente de son directeur depuis 1996, Yves Aupetitallot, dénonçant « les conséquences néfastes sur la santé des salariés et la pérennité de la structure » liées à ses méthodes de travail. L’exposition actuellement consacrée à l’artiste et architecte Didier Faustino est donc fermée au public jusqu’à nouvel ordre.
De son côté, Yves Aupetitallot, en congé maladie depuis octobre 2014, se dit victime de harcèlement depuis l’arrivée de la nouvelle présidente de son Conseil d’administration Anne-Marie Charbonneaux, ex-présidente du Centre nationale des arts plastiques, nommée sur une proposition d’Aurélie Filipetti par l’intermédiaire de Michel Orier, en février 2013. Ce dont semble attester l’ancien trésorier du Magasin, démis de ses fonctions au printemps dernier, qui a témoigné ces deux derniers jours dans Le Quotidien de l’art et Le Journal des Arts : “Anne-Marie Charbonneaux a progressivement mais de manière répétée et unilatérale contesté puis supprimé les prérogatives essentielles de Yves Aupetitallot pour favoriser l’évolution de sa fonction vers une présidence opérationnelle servie par une directivité à outrance (demandes abusives de reporting, surmultiplication de courriels, etc.) et par des ingérences dans les liens hiérarchiques entre les salariés, leurs tâches et leurs missions dont elle a désagrégé le collectif de travail en divisant ses membres« .
Un équipe usée
“L’équipe est usée, c’est indéniable, commente un proche du Magasin qui souhaite garder l’anonymat, s’il y des revendications légitimes, je ne soutiens pas pour autant ce mouvement de grève qui fragilise encore davantage le centre d’art. En l’absence de Yves Aupetitallot, les choses ne se sont d’ailleurs pas mieux passées. L’administrateur, Hacène Bouffeta, qui a reçu une délégation en l’absence d’Yves Aupetitallot, a géré les affaires courantes mais s’est tenu à l’écart des questions artistiques car ce n’est pas son domaine de compétence. Les deux expositions ont donc été votées par le conseil d’administration lui-même ».
Or c’est là un nœud de l’affaire : après le départ en congé maladie d’Yves Aupetitallot, sa programmation pour l’année 2015 (dont, notamment l’exposition de l’artiste indien Amar Kanwar qui était déjà bien avancée) a été annulée au profit de deux propositions émanant directement du CA : Dan Perjovski au printemps et Didier Faustino, donc, pour cet automne, tous deux représentés par la galerie Michel Rein. Deux projets éditoriaux dédiés aux artistes Liam Gillick et Philippe Decrauzat (et qui étaient pourtant financés) ont également fait les frais de cette nouvelle orientation.
Ce qu’ont d’ailleurs amèrement et officiellement regretté, le 17 mars dernier, 7 artistes reconnus sur la scène internationale ( de Mai-Thu Perret à Adel Abdessemed en passant par Xavier Veilhan) qui ont interpellé la ministre de la Culture en faveur du directeur du centre d’art le Magasin. Dans leur missive, ils saluaient « l’excellence d’une programmation reconnue unanimement tant en France qu’à l’étranger » et regrettaient que ce programme soit suspendu « sine die en opposition aux règles professionnelles les plus élémentaires ». Les artistes menaçaient notamment de retirer les œuvres produites dans le cadre d’une vente aux enchères organisée l’hiver dernier par Yves Aupetitallot et qui a permis de sortir le centre d’art de l’ornière financière dans laquelle il se trouvait.
Vice de procédure ?
Yves Aupetitallot a de son côté interpellé la ministre dans une lettre publiée le 12 septembre et dans laquelle il alerte sur la politique d’ingérence de son conseil d’administration. « Je vous informe par la présente que le bureau du Conseil d’administration du Magasin – Centre national d’art contemporain de Grenoble a porté à l’ordre du jour de la session du conseil d’administration du 30 septembre prochain l’examen de la programmation artistique de l’année 2016 qui sera soumise à l’approbation de ses membres » écrit ainsi le directeur, « Permettez-moi d’attirer solennellement votre attention sur cette violation de l’essence même des politiques culturelles publiques (…) que le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine entend inscrire dans son article 2 quand il affirme la responsabilité de l’ensemble des collectivités publiques en ce qui concerne le respect de la liberté de programmation artistique. J’ai ainsi l’honneur de solliciter votre intervention auprès du bureau du conseil d’administration et de sa présidence, pour appeler au respect de l’indépendance des choix artistiques ».
Or, il est indéniable qu’il y a là ce qu’on pourrait appeler a minima un vice de procédure, a fortiori un abus de pouvoir car le président d’un Conseil d’administration, par définition, a pour mission d’administrer, c’est-à-dire de donner ou non les moyens à l’institution qu’il représente de mettre en place sa politique artistique. En aucun cas, il ne doit intervenir dans le choix des contenus.
« Il faut penser à la santé du Magasin et de l’Ecole du Magasin au-delà de cette histoire », estime de son côté Estelle Nabeyrat, dernière responsable en date de la coordination de cette école unique en France, qui au sein du centre d’art, forme depuis 25 ans des commissaires d’exposition. Partie provisoirement à New York où elle collabore à un festival de performances, Estelle Nabeyrat, embauchée pour une durée de 9 mois en octobre 2014 espère au plus vite un nouveau recrutement pour l’école : “J’ai poursuivi un seul objectif toute l’année : maintenir l’école et le projet des élèves de la session 24. Ce dernier a connu un beau succès malgré les importantes difficultés traversées par le Magasin. Il est primordial de maintenir le programme dans des bonnes conditions d’existence. Et la dimension structurelle en fait partie. Il faut se projeter dans la continuité du projet avec l’Ecole, qui depuis le début est une des missions du Centre d’art. Des changements sont certainement à envisager, mais il ne doit pas se faire au détriment des élèves qui ont été recrutés et dont, il faut rappeler, que tous ont déjà un parcours important derrière eux. L’Ecole a besoin d’un coordinateur pour s’occuper de l’année en cours, mais également de la valorisation du programme et des éventuelles restructurations. Cette année la rentrée a été retardée d’un mois, ce qui est envisageable dans la mesure ou le contenu pédagogique et les aspects administratifs ont été anticipés en amont, sans quoi l’année ne saurait se dérouler normalement. Il faut prendre des décisions rapidement ».
Même chose pour la programmation artistique du centre d’art pour l’année 2016. Trois expositions ont été proposées par Yves Aupetitallot : une rétrospective Fluxus organisée avec Michel Giroux, un projet autour de l’utopie des villes nouvelles et un projet autour d’Alain Robbe Grillet. Des propositions audacieuses qui sont donc pour l’heure suspendues en attendant d’être examinées lors du CA du 30 septembre. « Il faut dénouer cette affaire » conclut Estelle Nabeyrat. Le directeur du Magasin, Yves Aupetitallot, actuellement engagé dans une procédure de résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, est, lui, soumis à un devoir de réserve.
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