Du tag au graffiti, des trains aux murs, il n’y a qu’un pas. En revanche, du graffiti au street-art, et de la rue aux galeries, le pas lui, est immense. Le terrain de jeu des artistes issus du graffiti s’est considérablement élargi. Très en vogue, le street-art, une évolution du « style » graffiti inspire le milieu de l’art. De l’extérieur, cette culture urbaine s’exporte petit à petit vers l’intérieur attirant galeristes et collectionneurs.
Affinant leur style vers un art plus abstrait, les graffeurs travaillent aujourd’hui davantage les couleurs. Ils créent des nuances de dégradés et réalisent parfois des œuvres dignes d’un Jackson Pollock. Pochoirs, calligraphies, collages, ils usent de nouvelles techniques. Si bien que souvent, le graffiti traditionnel, à l’origine de ce mouvement, fut donné pour mort. Mais les graffeurs sont unanimes là-dessus : il n’est pas prêt de disparaître.
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Plus qu’un mouvement artistique, c’est pour eux une « discipline » régie par des codes, des échelons, des lois. Des règles du jeu qui se jouent entre eux et qui ne peuvent s’apprendre que sur le terrain.
Du vandal à l’art urbain
Pour les graffeurs, le street art est quant à lui, ni plus ni moins qu’une évolution, voir une inspiration du graffiti. De l’acte de vandalisme à l’art, la mouvance de cette culture est immense. Et ce n’est pas pour rien si la tournure chagrine les graffeurs qui s’accordent davantage sur le terme de « post graffiti » ou de « graffiti art ».
« Graffiti art » parce qu’issu du graffiti, le street art n’aurait jamais connu ses lettres de noblesses sans cette culture underground, apparue dans les sous-sols, sur les palissades, les trains, les métros. « Le graffiti, c’est un peu les racines de ce mouvement », souligne Magda Danysz, galeriste spécialisée dans le graffiti, auteure d’Anthologie du street art. Chez les graffeurs ayant évolué vers le street art, le graffiti sera toujours l’école dans laquelle ils ont grandi, animés par ce désir de liberté, de ne pas respecter les codes, seulement les leurs, et surtout pas ceux qu’on leur impose.
« A partir du moment où tu ne cherches plus à mettre en valeur ton blase, c’est du street art. S’il y a une démarche artistique derrière, tu t’éloignes du graffiti », explique Elher TK, 24 ans, ancien graffeur et peintre professionnel. Se démarquer des autres, c’est là l’essence même du graffiti. Être vu et connu entre graffeurs, une question d’égo peut être, pas moins que le goût du risque qui régissait au départ cette culture souterraine, l’adrénaline, qui anime encore les plus jeunes graffeurs. « C’est comme un jeu de société mais à l’échelle humaine, une partie qui se joue dans la vie réelle », raconte Elher TK, qui réalise ses premiers graffs à l’âge de 13 ans.
Et dans cette discipline, pas question de parler d’argent : « A partir du moment où tu te fais des sous avec, ce n’est plus du graffiti », explique le jeune artiste qui gagne désormais sa vie avec des fresques et ses activités de graphiste. Magda Danysz, qui expose aujourd’hui les graffeurs les plus célèbres tels que Jonone, Obey, JR ou Missvan, a justement été saisie par cette notion de gratuité. « On a créé trop de barrières snobs et ce qui est génial dans cette culture urbaine, c’est que c’est hyper généreux, les gens n’ont pas besoin d’aller au musée, ils ont juste à faire un tour de Paris. Et cette générosité vient de ce côté éphémère, c’est lié à l’ADN de ce mouvement. C’est ce qui fait sa force ». Pour elle, une œuvre à l’extérieur n’est donc pas faite pour être exposée. Elle différencie bien les toiles de ce qui peut se faire dans la rue.
La rue, source d’inspiration
Plus qu’un style, le graffiti est pour ces écrivains de l’ombre une « démarche » dont l’essence va bien au-delà des murs des galeries et des musées. L’inspiration, les graffeurs la puisent directement dans leur environnement. « La rue nous parle, elle amène tellement d’information, et nous, nous sommes simplement les miroirs de ce que l’on ressent, et de ce que l’on reçoit », explique l’artiste Psy, l’un des précurseurs de la culture du graffiti en France. Artiste graffeur et peintre, membre du 156 crew, il vend aujourd’hui des toiles en galeries, tout en poursuivant l’aventure dans la rue.
Le « blase » qui était au départ un langage entre graffeurs, un mode de communication dont l’anonymat permettait de fuir les autorités, devient aujourd’hui une signature révélée au grand jour par les réseaux sociaux. « Les règles sont complètement tronquées. Maintenant tu te fais plus connaître en faisant un beau graffiti dans un terrain vague en le postant sur Instagram, qu’en taguant ton nom sur une autoroute », reprend Elher TK.
Désormais, certains graffeurs décident de sortir de l’anonymat et exposent des toiles à l’international. Et si cet art éphémère s’est déplacé vers les galeries, c’est aussi parce que ces artistes ont eu un jour envie de gagner leur vie, de leur passion :
« La voie ferrée c’est un message entre graffeurs, imposer son nom sur un endroit commun où tous les graffeurs passent. Là tu crées pour toi, et quelque part le regard des gens n’est pas plus important, mais simplement, ils comprennent plus facilement ta démarche », explique Fred du collectif Lek&Sowat.
Le binôme pousse aujourd’hui les limites du graffiti traditionnel avec des expérimentations in situ proches du Land Art. En 2012, leur projet Mausolée, un hommage au graffiti dans le centre commercial désaffecté de La Villette réunissant une cinquantaine de graffeurs, leur ouvrira les portes du Palais de Tokyo. « A la base les gens qui font des graffiti utilisent des outils corrosifs, comme de l’acide, ou des encres trafiquées pour que la peinture s’imprègne dans le support et ne soit pas effacé : l’envie de ne pas être effacés, ils l’ont eu depuis le début », souligne justement Hugo Vitrani, commissaire d’exposition du Lasco Project, un parcours d’art urbain enfoui dans les souterrains du Palais de Tokyo.
Une question de générations
En quête d’identité, les plus jeunes graffeurs chercheront le squat le plus visible, lorsque les anciens, précurseurs du graff des années 1980 voudront laisser leur trace.
« Jétais en quête d’identité. Quand j’avais quinze ans, je m’en foutais que ce soit repeint le lendemain. Maintenant, je cherche le spot le plus caché, en espérant laisser une trace et que ça reste. C’est à travers le temps qu’une culture se construit, qu’elle existe, et qu’elle prend de la valeur. Dans les catacombes, il y a des signatures qui ont été faites à l’époque de la commune, il y a trois cents ans. Ces signatures sont encore là, au départ c’était juste un tag, maintenant c’est un patrimoine », explique Psyckoze, auteur d’Intime errance cataphile, à paraître en octobre aux éditions Harpon.
L’artiste de 47 ans a débuté à l’âge de 15 ans dans le milieu. Désormais, il laisse son empreinte sous les catacombes de Paris, et ce depuis 1984. A ce moment-là, ils sont seulement une quinzaine de graffeurs en France.
Elher TK, issu d’une plus jeune génération de grapheurs a fait le choix de laisser le vandale derrière lui. Même si pour lui, c’est dans le vandalisme qu’est née cette discipline. Nostalgique, il se souvient des moments passés avec ses potes à taguer dans le secret le plus total.
« Je serai toujours graffeur, ça fait partie de moi, c’est un peu comme un musicien, même s’il arrête son instrument, ça fera toujours partie de lui. Et si je trouve quelque chose, pour lequel je devrais prendre les mêmes risques pour un meilleur prétexte que d’écrire juste ton nom, ton blase, je le ferai direct, je n’hésiterai pas une seconde à prendre des risques. Parce que maintenant, ça m’est égal d’être connu ».
Exposer en galerie, c’est aussi pour eux un moyen de financer des projets. Mais pour Psy, un artiste peignant des toiles avec le « style street art », sans graffer dans la rue est « dans l’erreur ».
« Jamais une seule fois dans ma vie, j’ai dissocié l’un de l’autre, l’un nourrit l’autre. Si je ne travaille pas dans la rue, j’e n’ai rien à raconter sur mes tableaux en atelier. C’est un ensemble pour moi, et justement ce style, il découle de la rue. Pourquoi il y a des coulures ? c’est parce qu’à l’époque on avait pas le temps de nettoyer parce qu’on avait les flics aux fesses. Et tous ces codes du style street art découlent de l’urgence, la spontanéité », souligne l’artiste.
« Je n’aime pas les choses trop organisées, ou trop légalisées. Il faut garder cette part d’imprévu et de mystère. Si tout est carré, on perd la magie de cette culture. Alors que c’est cette magie qui l’a fait reconnaître », ajoute-t-il.
Et en effet, si cet art éphémère, tend à laisser sa trace aujourd’hui, c’est aussi dû en à l’essence même de ce mouvement. Alors, le graffiti est-il mort ? Pour la galeriste Magda Danysz, la réponse est non :
« Etant éphémère, on peut imaginer qu’il meurt à peu près tous les jours, lorsque les façades sont détruites ou repeintes. Il est tellement habitué à mourir, que c’est dans sa logique de se régénérer ».
De la rue aux galeries
L’auteur décrit le graffiti telle « une mauvaise herbe qui repousse, tellement robuste qu’elle ne meurt pas ». Mauvaise herbe pour les autorités, elle séduit aujourd’hui les galeristes et les collectionneurs. Pour elle, aujourd’hui son rôle de galeriste ne se limite pas simplement à vendre des toiles, mais à appuyer une démarche « globale » qui dépasse le cercle individuel et le fait de vendre une œuvre que l’on peut ramener chez soi. « On vend leurs toiles pour financer des projets d’extérieur hallucinants », explique-t-elle. Passionnée par cette culture, elle aussi a grandi dans ce milieu, entourée d’amis graffeurs. Pour Hugo Vitrani, le graffiti renaît aujourd’hui d’une manière différente. « Toute la vague très mainstream de ce qu’on voit du street art a radicalisé beaucoup de gens dans la scène du graffiti. Leur travail se renouvelle en confrontation avec toutes ces évolutions ». Le graffiti a donc de beaux jours devant lui.
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