A Cannes, dans le nouveau film de Jim Jarmusch, mais aussi au Théâtre de la Tempête à Paris, l’actrice franco-iranienne Golshifteh Farahani incarne sublimement l’un des personnages les plus troublants de l’histoire de la littérature, Ana Karénine. Elle semble bien seule.
On eût aimé qu’ « Anna Karénine ressemble à la lueur d’un incendie au milieu d’une nuit sombre « , telle que la décrit Tolstoï. Cependant, cette adaptation au théâtre de l’un des chefs-d’œuvre de la littérature russe du XIXe siècle, par le metteur en scène Gaëtan Vassart, vulgarise dans toute sa littéralité les passions qui la traversent et « boulevardise » ce drame amoureux.
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C’est un beau projet pourtant que de vouloir adapter Ana Karénine au théâtre car, dans sa grande proximité avec la littérature et le déploiement des émotions qu’il autorise, il permet de pénétrer le mystère des œuvres. On pense évidement à Kristian Lupa qui, en adaptant au théâtre Des arbres à abattre de Thomas Bernhard, s’était enfoncé au plus profond de l’œuvre, la faisant sienne, oubliant le théâtre pour fouiller la matière même de la littérature, sans chercher surtout, à aucun moment, à la représenter.
Ici, chez Gaétan Vassart, tout est représentation.
Peut-être dans un souci pédagogique, honorable en soi, on suit le chemin de l’œuvre, on (re)connaît bien l’histoire, tout y est ou presque. Sauf qu’à aucun moment le metteur en scène adaptateur ne pénètre les contre-allées de l’œuvre ou ne s’aventure dans les chemins de traverses du génie tolstoïen. C’est avec un kitsch consommé, tant dans le jeu des acteurs que dans la scénographie, que l’on avance, pas à pas, dans l’histoire. C’est avec respect que chacun des personnages est traité, les différentes couleurs de la haute société russe d’alors sont convenablement peintes, le drame est annoncé et chacun est bien à sa place.
Dans la Russie des tsars, une femme amoureuse sacrifiera tout pour vivre sa passion jusqu’au bout. C’est un mélo. Un mélo social et politique à la manière des grandes œuvres de Douglas Sirk. Mariée à un haut fonctionnaire, ambitieux, aux espérances politiques affirmées, la belle Ana Karénine impose le respect et l’admiration. Le désir aussi. C’est qu’elle est sublime. En voyage à Moscou chez son frère dont les turpitudes amoureuses sèment la zizanie, elle rencontre, à la gare, le fils de la femme avec laquelle elle vient de voyager, le comte Vronski. C’est un coup de foudre. Pour lui, elle renoncera à tout.
Et c’est précisément ce tout qui manque dans cette adaptation mise en scène par Gaëtan Vassart, la profondeur des sentiments, les engagements de l’âme, le doute, l’amour… S’il n’y a pas de poésie et de littérature dans ce spectacle, on ne peut nier en revanche que l’on soit bien au théâtre. Grandiloquence, cabotinage, grosses ficelles et rideaux argentés qui tombent, tout y est.
Alors, comme un diamant brut égaré au milieu d’un tas de détritus, l’étrange beauté, la finesse du jeu, l’intériorité de Golshifteh Farahani surprennent et émerveillent. Et imposent le respect. Elle semble bien seule pourtant à avoir saisi l’intensité poétique de l’œuvre. Seule, comme Ana Karénine.
Hervé Pons
Anne Karénine, de Léon Tolstoï, mise en scène Gaëtan Vassart, jusqu’au 12 juin au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes.
En tournée
4 octobre 2016 : Théâtre de Chelles (77)
7 octobre 2016 : Théâtre de l’Olivier, Istres (13)
9 octobre 2016 : Scène Nationale d’Albi (81)
18 octobre 2016 : Théâtre de Chartres (28)
10 et 15 novembre 2016 : Théâtre de Suresnes Jean Vilar
(92)
Du 17 au 19 novembre 2016 : Théâtre National de Nice (06)
25 et 26 novembre 2016 : La Ferme du buisson, scène
nationale (77)
28 et 29 novembre 2016 : L’Equinoxe, Scène Nationale de
Châteauroux (18)
2 décembre 2016 : Théâtre de Montélimar (26)
8 décembre 2016 : Théâtre de Colombes (92)
9 décembre 2016 : Théâtre de Sens (89)
11 décembre 2016 : Théâtre de Cesson Sévigné (35)
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