Le calvaire de l’intégrisme religieux continue et le festival Malta annule la représentation de Golgota Picnic. Réactions de Rodrigo Garcia et publication de la lettre de soutien initiée par House of Fire.
Comme chaque année, le festival Malta de Poznan, en Pologne, fait appel à un metteur en scène européen pour la direction artistique de son édition. Après Romeo Castellucci, en 2013, Rodrigo Garcia a programmé une section entière des spectacles de cette édition et mis en avant la création sud-américaine. Il a également choisi d’y donner Golgota Picnic le 27 juin prochain.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mais, le 19 juin, un mail de Gisèle Vienne nous alertait sur des menaces de violence prévues le jour de la représentation, émanant des catholiques polonais. Nous avons demandé à Rodrigo Garcia de réagir à cette situation explosive, lui qui l’a déjà vécue en France avec le même spectacle, en 2011, menacé par Civitas.Sur le site du festival Malta, on peut lire une lettre ouverte initiée par House of Fire, en soutien à la liberté de création, recueillant de nombreuses signatures que nous publions à la fin de l’interview de Rodrigo Garcia. Le 26 juin, nous apprenons qu’à l’invitation de Krzysztof Warlikowski, la pièce Golgota Picnic sera lue dans son théâtre à Varsovie, le Nowy Theatre, par les acteurs Juan Novarro et Juan Loriente, accompagnés au piano par Marino Formenti. Un soutien que l’on salue.
Depuis combien de temps savez-vous que les représentations de Gólgota Picnic prévues dans le cadre du Festival Malta de Poznań, dont vous êtes directeur artistique de la présente édition, sont menacés par un énorme mouvement de protestation des catholiques ? Et que penser d’un tel acte de censure?
Je l’ai appris il y a deux jours, je ne savais même pas qu’il y avait une lettre ouverte pour recueillir des signatures en faveur de mon travail. Je suppose qu’ils ne voulaient pas m’alarmer et qu’ils pensaient que tout irait bien. Cependant, il y a deux jours, nous avons eu une très longue conversation où on m’a expliqué le danger que courait non seulement ma compagnie, mais le festival et la ville.
Personne ne m’a consulté pour savoir si je pense qu’il est préférable de faire le spectacle ou pas, le festival me dit que que la pièce est annulée et c’est tout, il s’agit d’une décision unilatérale, 100% unilatérale.
Je ne partage pas cette décision, je ne peux pas accepter qu’on nous intimide, nous menace, parce que c’est le premier pas pour ensuite tolérer bien d’autres choses et finir comme esclaves de quelques fous. Je sais, nous le sommes déjà, nous sommes les esclaves d’une classe politique, ces fous que nous choisissons dans un acte de démence collective, mais c’est un autre problème.
Les types te disent : si vous faites Gólgota Picnic, le sang coulera et je ne peux que répondre : alors allons-y, que le sang coule. Ce qui n’est pas possible, c’est d’accepter la censure en Europe en 2014 et encore moins d’accepter que me menacent des exaltés qui prétendent être catholiques, quand le christianisme est supposé être la doctrine de l’amour du prochain et toute cette entéléchie.
House of Fire a publié une lettre ouverte en faveur de la liberté d’expression et de votre spectacle, publiée sur le site du Festival Malta et la collecte de signatures de nombreux artistes internationaux. Mais pensez-vous à des artistes polonais pour former un comité de soutien qui, étant sur place, peut changer les choses?
Je suis en train de vous répondre maintenant d’un aéroport, en route pour Poznań. Tout ce qui m’est parvenu du Festival n’est que peur, terreur.
Mais je sais que cette peur est accompagnée par une autre crainte : la crainte de ceux qui travaillent pour le festival, que celui-ci perde son prestige, la crainte de perdre même la direction des éditions futures, de perdre leur emploi. J’ai mon opinion là-dessus, mais je ne tiens pas à la rendre publique.
Je suis le programmateur d’une section du festival, 14 artistes m’attendent plus 20 autres personnes qui se sont inscrits à un Atelier avec moi. Je voyage pour ça, pour eux. S’il ne s’agissait que de Gólgota Picnic, je n’irais pas là-bas juste pour «débattre», ce serait frustrant, car il n’y a pas de débat possible : le spectacle doit être joué ou bien l’exemple que nous donnons est celui d’une société qui se laisse intimider par un groupe de fanatiques. Pensez qu’il s’agit d’une simple pièce de théâtre, rien de plus. C’est une fiction et c’est de la poésie. Allons-nous permettre que d’autres nous disent la poésie que nous devons faire et celle que nous ne pouvons pas faire?
Aujourd’hui comme hier, que souhaitez-vous dire aux catholiques qui s’accordent le droit de décider ce que l’artiste peut dire ou non sur la religion ?
La religion catholique est une maison imaginaire qui donne refuge aux désespérés et à ceux qui n’aiment pas la vie ni l’être humain tel qu’il est, avec tous ses aspects négatifs, l’être humain normal est pourri a 50%, c’est ainsi, il sort comme ça de l’usine et ensuite en société cela s’aggrave. Des hommes pourris à 75%, voire 99% j’en ai vu.
Un catholique n’accepte pas l’homme et la femme en tant que tels. Ni le quotidien, la vie leur paraît impossible à vivre et la vie n’est pas comme ça, elle n’est pas noire comme ils la voient, parce que l’homme peut et sait utiliser ses 50% sains. Parmi les choses horribles de l’être humain il y a l’intolérance, le cas de Poznan pour mon spectacle, c’est cela. La Bible, un livre écrit par des fous, par des déments, si l’on omet cet illustre inconnu qui a écrit l’Ecclésiaste, qui parle de façon désespérée de l’amour du prochain, mais comme sa lecture est conditionnée, comme un catholique ne sait extraire de la Bible rien qui soit positif, car il a appris à la lire sur un mode apocalyptique, tout finit ainsi : par la violence.
Que dire d’une société européenne qui ne peut plus parler du Christ sans avoir à subir les protestations et les mouvements d’opposition?
Qu’il y a des intérêts politiques et économiques et que l’on n’enseigne pas la philosophie dans les écoles et lycées. Les instituteurs ne sont pas de libres penseurs, les instituteurs sont tous des ânes au service de l’État. Et la famille est de plus en plus abrutie. Il se trouve que cela rend fous ces gens-là que deux homosexuels puissent adopter et élever un enfant, en même temps cela ne les dérange pas que les couples hétérosexuels, les familles «décentes» fassent ce qu’ils font avec leurs enfants: les abandonner dans les écoles entre les mains d’éducateurs esclaves d’un système caduque et le week-end : au centre commercial !
Propos recueillis par Fabienne Arvers
Lettre ouverte de House of Fire
Mesdames et Messieurs,
La lettre suivante est publiée pour exprimer notre préoccupation à propos du mouvement qui a été orchestré au cours des dernières semaines autour de Gólgota Picnic, une pièce mise en scène par Rodrigo Garcia, qui sera présentée au Festival Malta de Poznań 2014.
La protestation contre cette pièce montrée à Poznań est fondée sur l’opinion qu’elle offense la religion et qu’elle propage des idées anti-chrétiennes.
Cependant, comme les manifestants eux-mêmes l’admettent, la seule information dont ils disposent sur la pièce leur provient d’Internet et aucun d’entre eux n’a en réalité vu le spectacle. Toute tolérance face aux demandes d’annulation de la représentation au festival sera donc un exemple classique de critique préventive et une atteinte à la liberté d’expression. Nous sommes convaincus que la liberté, l’une des valeurs humaines les plus fondamentales, est fondée sur le droit de vivre et de penser librement, et aussi sur la capacité à poser des questions – même celles qui sont difficiles. L’art a toujours été ouvert à l’expérimentation, au pluralisme et à la tolérance, à une variété de points de vue.
Personne ne devrait avoir le monopole de discuter des sujets qui suscitent des émotions. L’histoire de l’Église devrait aussi être ouverte à la recherche et à la discussion. Rodrigo García exerce cette liberté – en tant qu’être humain et en tant qu’artiste – d’exprimer son engagement éthique et intellectuel dans le monde qui l’entoure. Le thème principal de sa pièce est la condition de la société européenne immergée dans la consommation et l’hédonisme, et la lutte contre un vide spirituel écrasant. L’artiste ne viole aucun des droits de l’homme, personne n’est obligé de voir son travail. Plus encore, le spectacle est présenté dans un espace clos, les billets sont indispensables pour y assister et il n’est autorisé qu’aux personnes âgées de plus de 18 ans.
La Pologne est un lieu où les questions sur la liberté doivent être soulevées, car elle fait partie de ces pays qui ont combattu pour leur démocratie depuis près de 50 ans. Récemment, sur la «la Place de la liberté d’expression» à Varsovie un monument a été érigé pour commémorer le mouvement d’édition clandestine entre 1976 et 1989. Pendant la période communiste « Le Bureau pour le contrôle de la presse, de la publication et du spectacle» avait son siège non loin de là. Aujourd’hui, 25 ans après avoir recouvré notre indépendance, présenter une pièce dans un espace clos fait se confronter les habitants de Pologne à la critique préventive et à une croisade contre l’art, encore une fois.
En tant qu’êtres humains qui tiennent la culture en haute estime, nous réclamons le respect de la liberté d’expression.
http://malta-festival.pl/en/news/list-otwarty-ludzi-kultury-z-polski-i-europy-zainicjowany-przez-2-2
{"type":"Banniere-Basse"}