Le duo Giraud et Siboni explore la puissance et les limites de la technologie, et invoque Ray Kurzweil, le gourou du transhumanisme qui veut redonner naissance à son père.
Il y a quelques mois, Time Magazine faisait sensation avec cette une : “Google peut-il vaincre la mort ?”, et le portrait d’un théoricien du courant transhumaniste (selon lequel la technologie transcendera les limites biologiques de l’être humain), à la tête d’un pôle de recherche financé par le géant américain. Ray Kurzweil, c’est son nom, travaille sur ce qu’il appelle “le point de singularité”, où machines et autres microprocesseurs deviendront tellement puissants qu’ils pourront s’autonomiser et s’autogénérer. Jusque-là tout va bien, pensez-vous, la revanche de la machine sur l’homme, c’est de la pure SF. Sauf que Kurzweil en est persuadé : “le point de singularité », c’est pour 2045.
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« Entre le premier galet éclaté et le premier biface, il y a des milliers d’années. Puis l’on voit au fil des siècles que la technique s’accélère », commente l’artiste Fabien Giraud, qui, avec son complice Raphaël Siboni, explore la puissance et les limites de la technologie. “Selon Kurzweil, cette courbe exponentielle monte verticalement en flèche à partir de 2045. L’homme, alors, n’est plus acteur, il devient de la matière à ré-agencer. Les machines doivent encoder l’humain, ce qui revient à le chosifier.”
Si l’on vous raconte tout cela, c’est que 2045, c’est aussi la date qu’ont choisie Giraud et Siboni pour le premier épisode de leur série, dont on a découvert les trois premiers épisodes au Casino Luxembourg. Une série qui remonte le fil de l’histoire de la technique et du nombre, depuis cet ultime épisode jusqu’à la préhistoire et la prédation animale, qui correspond à la « première formulation d’une géométrisation du monde, où l’animal doit tirer un trait imaginaire entre lui et sa proie ».
Leur référence, 2001 : l’Odyssée de l’espace. “Vous vous souvenez du moment où le singe tape sur un os, lequel se transforme en vaisseau spatial ?”, demande Fabien Giraud. C’est ce genre d’ellipse, de saut dans le temps, qu’ils vont essayer de produire à travers ce projet vertigineux qui devrait compter trente épisodes. “Nous allons raconter les points d’inflexion de la morphologie du monde.”
Kasparov vaincu par Deep Blue
Concrètement, cela donne pour l’instant un film, 2045 donc, entièrement tourné avec des drones dans la jungle mexicaine ; 1997, qui démarre pile au moment où Kasparov, le génie des échecs, capitule devant l’IBM Deep Blue, et The Axiom, sorte d’épisode zéro dans lequel un jeune garçon prénommé Friedrich tente de déchiffrer un texte, écrit par les artistes, dont toutes les césures ont sauté. Un texte déshumanisé en quelque sorte, puisqu’il s’inspire d’une part de l’histoire de “l’enfant sauvage” Kaspar Hauser, et surtout parce que, comme l’explique Giraud, “les espaces, les écarts sont le propre de l’homme”.
http://vimeo.com/85250038
Le récit se déploie d’ailleurs sur des images, tournées au microscope, d’une lame découpant du métal. En attendant un prochain épisode consacré aux “femmes-calculettes” des années 30, quand les ordinateurs étaient encore des femmes qui effectuaient toutes sortes d’opérations devenues trop complexes au fil du temps (“on comptait alors en ‘années-femmes’ ou ‘jours-femmes’”), il faut décoder tous les niveaux de lecture de ces premiers épisodes. La façon de Giraud et Siboni de faire correspondre leur sujet et les outils employés : des drones pour l’imagerie du futur et deux optiques différentes pour la salle de jeu d’échecs filmée pendant les treize premières minutes en macro, à une échelle 1 qui donne le tournis, puis à l’échelle du visible. Leur capacité enfin à faire coïncider la grande et la petite histoire.
Quand les fils engendrent les pères
Car derrière ses recherches scientifiques, Ray Kurzweil, le chercheur de Google, cache un projet tout aussi fou : celui de faire revivre son père, décédé en 1970 d’un infarctus. Pour ce faire, il conserve dans un entrepôt toutes les traces de son existence, qui seront ensuite compilées par l’ordinateur pour créer l’avatar paternel.
Friedrich, le petit garçon hésitant que l’on entendait tout à l’heure dans The Axiom, c’est donc lui, ce père ressuscité par le fils que l’on retrouve ensuite dans une scène primitive de l’épisode 2045. “Que se passe-t-il quand les fils engendrent les pères ? Quel genre de généalogie cela crée-t-il ? Qu’est-ce qui arrive à la morphologie du monde dans ce cas-là ?”, s’interroge le duo. Vertigineux, on vous dit. Dans le prochain épisode, on retrouvera Friedrich Kurzweiler en contremaître des « femmes-calculettes ».
The Unmanned jusqu’au 27 avril au Casino Luxembourg, www.casino-luxembourg.lu
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