Un regard distancié et un sens aigu de la composition ont permis au photographe de retranscrire l’esprit d’un moment-clé.
Il fallait bien l’appréhender d’une façon ou d’une autre. Ne pas y aller par quatre chemins, la saisir de front, la gueule du pouvoir en mai 68, l’image du monstre politique prétendument intouchable : Charles de Gaulle. Car il fallait s’approcher de son visage cette année-là, briser la glace, souligner ses rides, sa fatigue, son égarement alors que tout tombait à la renverse. Gilles Caron s’en est chargé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’accompagnant lors de ses deux derniers voyages officiels, il le photographie à plusieurs reprises et en gros plan, le présentant aussi fébrile et tourmenté que ses deux petites mèches hirsutes qui flottent au vent et pointent sur sa tête dans ses portraits. Ce pouvoir, concentré dans les mains d’un homme vieillissant, Gilles Caron a su magnifiquement en capter l’allure, comme il a su au même moment recueillir les élans de la jeunesse insurgée contre lui.
Né en 1939, ce reporter, révélé par son travail sur la guerre des Six jours, est aujourd’hui considéré comme “le” photographe de Mai 68. Un statut acquis tardivement – et mérité – mais qui peut oblitérer l’ampleur de sa contribution. Car, in fine, on a tendance à seulement retenir ses images iconiques : le face-à-face entre un Cohn-Bendit frondeur et un policier, un étudiant coursé par un policier et des lanceurs de pavés.
Alors qu’il existe aussi de splendides photos montrant des jeunes femmes désemparées faisant du stop à cause des pénuries d’essence, documentant l’état des barricades au petit matin, les manifestations gaullistes ou encore les premiers rassemblements dans le foyer de la contestation à Nanterre. Gilles Caron était d’un côté comme de l’autre des barricades. Pour reprendre les mots de l’historien Michel Poivert, il n’était pas “un photographe d’opinion, mais bien un descripteur d’événements”.
L’exposition à l’Hôtel de Ville de Paris permet ainsi de retracer merveilleusement leur chronologie, de s’immiscer dans l’intimité des expériences personnelles et collectives et d’en restituer le contexte. Car elle ne se circonscrit pas à Mai 68 mais bien aux “années 68”, et retrace l’itinéraire d’un photographe qui, à cette époque, se trouvait aussi bien auprès de Gainsbourg, sur les plateaux de tournage de la Nouvelle Vague qu’au Mexique ou au Biafra.
Mort à 30 ans en 1970 au Cambodge, Gilles Caron était un boulimique du présent. En six ans de carrière à peine, il est parvenu à être sur tous les fronts, accomplissant avec brio cette lourde tâche : celle de comprendre l’histoire en train de se faire, saisir ses singularités et inventer de nouvelles formes pour dire le présent. Aussi gonflé d’espoir, ou aussi terrible, soit-il. Julie Ackermann
Paris 1968 Jusqu’au 28 juillet, Hôtel de Ville, Paris IVe
{"type":"Banniere-Basse"}