Créé au Théâtre national de Strasbourg à l’automne, Iphigénie en Tauride de Goethe, mis en scène par Jean-Pierre Vincent, s’avère un manifeste poétique intense, porté par la beauté des mots et la puissance des acteurs.
Comme un exercice d’épure, une pensée qui se passerait de commentaire, Jean-Pierre Vincent déploie l’œuvre méconnue de Goethe, Iphigénie en Tauride, d’un seul élan, ne s’appuyant que sur les fondamentaux du théâtre, le texte, les acteurs. Et l’aventure est d’autant plus puissante qu’elle puise sa force dans la littérature même, la vigueur des mots, la violence des émotions, la figure d’Iphigénie. L’épure n’est pas un effet, encore moins un repli réactionnaire, mais une audace, une inclination sublime pour la poésie.
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En pleines Lumières, Johann Wolfgang von Goethe s’empare de l’œuvre d’Euripide pour insuffler à son héroïne un peu de cet esprit de libre pensée défiant les dieux et armant les pas d’un féminisme à venir. Héritière de la malédiction mortifère des Atrides, Iphigénie est sauvée in extremis par la déesse Diane du sacrifice meurtrier auquel veut la soumettre son père Agamemnon.
Une figure incandescente
Transportée dans un nuage en Tauride, l’actuelle Crimée, elle devient la prêtresse de Diane, mais sur ces terres où règne le roi Thoas, elle est chargée d’exécuter tous les étrangers qui se risqueraient à y aborder. Comme elle refuse d’épouser le roi, ce dernier a décidé de rétablir cette loi inique qu’elle avait pourtant réussi à lui faire abroger.
Survient alors sur ces rivages désespérés Oreste, son frère, accompagné de son ami Pylade… Ayant pour seule arme la parole, Iphigénie, figure incandescente, lutte contre la folie de son frère et celle de Thoas.
Toute de beauté, la langue de Goethe traduite par Bernard Chartreux et Eberhard Spreng œuvre aux desseins d’Iphigénie tragiquement habitée par une poésie qui seule semble pouvoir démêler les méandres de la folie des hommes.
Une célébration de la liberté
D’une homogénéité sans pareille, la distribution rassemblée par Jean-Pierre Vincent – Cécile Garcia Fogel, Vincent Dissez, Pierre-François Garel, Alain Rimoux et Thierry Paret – semble, à l’instar d’Iphigénie, portée, animée par cette impérieuse nécessité poétique. Et cette tragédie finit bien, non pas grâce au secours des dieux mais par les protestations d’une héroïne s’élevant contre le sort réservé aux femmes, luttant contre le mensonge et la ruse, attributs constants du pouvoir masculin.
Déterminée, apaisante, inflexible, altière, Iphigénie s’élève au-dessus des commentaires et des enjeux guerriers pour célébrer la liberté d’écouter, de comprendre, de penser et de panser. Presque à contre-courant d’un théâtre poreux aux affaires du monde, reflétant ses incohérences et fluctuations sordides, celui prôné par Jean-Pierre Vincent, foncièrement positif, animé par la beauté, est un baume qui célèbre la pensée comme une fête.
Iphigénie en Tauride de Goethe, mise en scène Jean-Pierre Vincent, avec Cécile Garcia Fogel, Vincent Dissez, Pierre-François Garel, Thierry Paret et Alain Rimoux, jusqu’au 10 décembre au Théâtre des Abbesses, Paris XVIIIe
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