À 29 ans, Arnaud Tardy signe sa première mise en scène avec “Froid” du dramaturge suédois Lars Norèn. Une claque.
L’affiche donne le ton, il faut se rendre au théâtre en connaissance de cause. Le collectif s’appelle Saison Violente, le texte s’intitule Froid, il est signé Lars Norèn, un auteur qui ne brille ni par sa légèreté, ni par son humour, ni par sa joie de vivre… Et pourtant, cela ne nous empêche pas de sortir du Théâtre La Flèche – une boîte à chaussures nichée dans le 11e arrondissement parisien – le sourire aux lèvres, réjoui d’avoir découvert une perle rare, bouleversé par l’acuité du propos du dramaturge suédois et transporté par le talent de ces quatre jeunes comédiens et de leur excellent metteur en scène.
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Tout commence quand trois ados rôdent à la lisière d’une forêt, quelque part en Suède, le décor évoque un terrain vague. Il s’agit de leur premier jour de vacances, mais déjà ils n’ont rien à faire. Alors ils se passent brutalement un vieux ballon de foot, enchaînent les pompes démonstratives et engloutissent des cannettes de bière comme des gages de virilité. Ce sont des pauvres types, agressifs, xénophobes et stupides. Le leader, Keith, est obsédé par la pureté de la “race“ suédoise, les autres acquissent, ricanent et surenchérissent. Dans le public, on grince des dents.
Mais tant qu’ils restent entre eux, dans les bois, ils ne font de mal à personne (on se rassure comme on peut). Jusqu’à ce qu’un de leurs camarades de classe ait le malheur de passer par là, évidemment. Il s’appelle Karl, il est d’origine coréenne, il rentre chez ses parents adoptifs pour fêter ses résultats au bac, avec deux bouteilles de champagne dans son sac à dos, il ira à l’université. Mais la pièce bascule. Le quatrième garçon répond avec intelligence aux sollicitations, il ne cède à aucune provocation, tempère les ardeurs de ses agresseurs… En vain.
Mise à mort
La réussite d’Arnaud Tardy tient d’abord à sa lecture du texte. Le jeune homme – 29 ans tout de même –, qui signe ici sa première mise en scène, a parfaitement compris la mécanique infernale du piège imaginé par Lars Norèn, il parvient à en tirer un maximum de suspense. Cette mise à mort est digne d’un documentaire animalier. Le propos est aussi politique, évidemment, il évoque notre actualité. Tardy et Norèn nous montrent comment le crime est commis avant même d’avoir eu lieu : celui-ci est en quelque sorte consubstantiel aux idées nauséabondes de ses protagonistes. Ces derniers, d’ailleurs, savent très bien que, tôt ou tard, ils finiront en prison.
Sur les planches, Benoit Repellin, Florent Pochet et Yanis Lab campent ces personnages outranciers sans jamais céder à la caricature. On est mal à l’aise en leur présence. On croit d’emblée à la vacuité testostéronée de leur propos. On préférait même ne pas les croiser à la sortie du théâtre… Nicolas Phongpheth, dans le rôle de la victime, opte pour un flegme qui désamorce tout pathos. Grâce à eux, cette courte pièce – 1 h 10 – résonnera en nous bien après la représentation. Espérons qu’elle se joue longtemps. Espérons qu’elle ait du succès. Espérons que son équipe aille loin, elle le mérite.
Froid, de Lars Norèn, mis en scène par Arnaud Tardy. Avec Benoit Repellin, Florent Pochet, Yanis Lab et Nicolas Phongpheth. Jusqu’au 17 mars (les jeudis à 19 heures). Théâtre La Flèche, Paris 11e
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