En croisant les destins d’un scientifique français, d’un auteur de SF russe et de leur descendance, le dramaturge signe un pièce brillamment incarnée qui brouille les repères spatio-temporels.
A coup sûr, un petit rappel s’impose. Selon le principe de superposition quantique, la localisation d’une particule doit être représentée comme la somme d’un nombre infini de vecteurs, chaque vecteur représentant une position précise dans l’espace. Une particule est donc à la fois ici et en même temps ailleurs…. Et d’une autre façon. En somme, il existe des univers parallèles où la vie et le réel se déclinent de mille façons différentes.
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“Tout ce que nous avons choisi de ne pas faire, nous le faisons ailleurs, au même moment”
Pour celles et ceux qui n’auraient pas, au minimum, un master 2 en physique quantique et de grosses bases en épistémologie formelle, cette thèse contre-intuitive déroute et donne le vertige. Frédéric Sonntag, lui, la trouve absolument magnifique. “Adaptée au vivant, elle s’impose comme le motif poétique absolu, parce qu’elle libère le champ des possibles, explique-t-il. Tout ce que nous avons choisi de ne pas faire, nous le faisons ailleurs, au même moment.” Il en a tiré une pièce, sa plus ambitieuse à ce jour, avec un récit, une intrigue et des personnages. Et, effectivement, le résultat est assez beau – et relativement clair.
Il met en scène deux individus fictifs. L’un est un physicien français, Jean-Yves Blanchot, à l’origine de la théorie des mondes multiples – sa vie est très inspirée par celle du scientifique américain Hugh Everett. L’autre est un auteur de SF russe, Alexei Zinoviev – comme le philosophe dissident –, qui a écrit une œuvre visionnaire autour de la conquête spatiale et, plus particulièrement, de l’exploration des univers parallèles par des cosmonautes soviétiques.
Les deux hommes aux idées jumelles mourront incompris et déprimés, sans jamais se croiser. Place, ensuite, à leurs enfants. Le fils de Blanchot, Anthony, est leader d’un groupe de rock. La fille de Zinoviev, Anna, est futurologue. Tous·tes deux ont besoin d’arracher l’image de loser qui colle à la peau de leur paternel. Il·elles vont donc tâcher de se représenter d’autres univers – là où Zinoviev n’a pas sombré dans la folie, là où Blanchot n’est pas devenu un père démissionnaire – afin de faire leur deuil.
Irréalité
Et c’est ici, précisément, que le théâtre de Frédéric Sonntag émerveille. Les séquences de vie de famille sont jouées, puis rejouées autrement. Les chansons sont interprétées, puis réinterprétées différemment. Et l’accomplissement du potentiel des personnages finit par advenir, dans une étrange impression d’irréalité. La brusque juxtaposition des scènes (on passe d’un salon soviétique au plateau de l’émission Apostrophes de Bernard Pivot et à la salle de répétition d’un groupe de musique) évoque parfois – un peu trop – le travail de Julien Gosselin.
Qu’importe. Avec un point de départ aussi abstrait, Frédéric Sonntag crée une pièce puissante et magnifiquement incarnée (mention spéciale au génial Victor Ponomarev dans le rôle de Zinoviev). Chapeau.
D’autres mondes texte et mise en scène Frédéric Sonntag, avec Romain Darrieu, Amandine Dewasmes, Florent Guyot, Antoine Herniotte, Victor Ponomarev. En raison du confinement, les représentations de novembre sont annulées. Le maintien des dates suivantes reste à confirmer : Les 21 et 22 janvier 2021, Points Communs, Cergy-Pontoise. Les 26 et 27 janvier, Grand R, La Roche-sur-Yon
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