Quand une icône du butô rencontre une figure de la danse contemporaine. Akaji Maro et François Chaignaud ont accepté notre invitation à parler de leur art. Et posé pour la première fois ensemble. Récit.
En ce lundi de novembre c’est au dernier étage de la Maison de la culture du Japon à Paris que François Chaignaud et Akaji Maro ont trouvé refuge. L’occasion était trop belle pour ne pas les interroger sur leur vision artistique. Chaignaud dit aimer avant tout la fantaisie, le grotesque de la danse d’Akaji Maro. “Mes aînés de la danse contemporaine française étaient obsédés par le butô. Cela en devenait un passage obligé. Et même si à une époque j’ai pris des cours avec Ko Murobushi, je ne me suis jamais concentré sur cette danse des ténèbres”.
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Justement Akaji Maro en est un des représentants, un des rares aussi à pouvoir faire vivre une compagnie dédiée Dairakudakan installée à Tokyo célébrant cette saison 45 ans d’activité. Ses spectacles où Maro apparaît le plus souvent en personnage au sexe indéterminé sont tout à la fois sexuels et poétiques, dérangeants et crûs. Sans limite ?
“Comme si nous marchions dans le brouillard”
“J’essaye de ne pas me fixer des interdits, résume Maro. D’une certaine façon je m’éloigne du butô. J’ai cette conscience des règles du genre mais j’ai appris à garder mes distances.” Apparue dans les années 50 cette danse de l’après-Hiroshima montre les corps comme repliés sur eux-mêmes dans une lenteur étudiée. Le butô va marquer les esprits à défaut de rencontrer un large public. Ses précurseurs comme Tatsumi Hijikata ou Kazuo Ohno seront des maîtres à penser de ce mouvement. Leur influence reste tenace aujourd’hui encore. Akaji Maro a tout appris ou presque de Hijikata. A 75 ans il demeure un électron libre capable de jouer devant la caméra de Kitano ou de Tarentino tout comme de se grimer sur scène en petite fille.
Lorsqu’on lui demande si il joue de cette ambiguïté, Maro évoque cette “twilight zone entre chien et loup. C’est à ce moment que l’on me voit. Quelque chose qui n’est pas très clair à définir. Ce que je veux c’est faire travailler l’imaginaire du public. Comme si nous marchions dans le brouillard ensemble.”
Dans les créations récentes de Dairakudakan on ainsi pu revivre la grande époque des cabarets japonais d’après-guerre (Les Kimpun Show magnifiés dans la chorégraphie Crazy Camel) ou se frotter à des univers parallèles au- delà de la vie et de la mort avec le tout récent Paradise sur une musique de Jeff Mills.“Chaque personne a droit à son Judas”, s’exclame presque perfide Akaji Maro.
“Je ne veux pas que cette ambiguïté devienne un mot d’ordre”
Ce goût de l’entre-deux, le Japonais le partage d’une certaine manière avec François Chaignaud, danseur, chorégraphe, chanteur et chercheur. Apparu d’abord comme interprète auprès de Boris Charmatz ou Alain Buffard, Chaignaud crée en 2008 avec Cecilia Bengolea sa propre compagnie Vlovajob Pru. Le tandem s’illustre dans des récitals à la limite de la performance. Surtout chacun développe sa propre sensibilité.
Ces derniers temps Chaignaud a encore élargi ses champs d’expérience comme en témoigne Romances Inciertos, un autre Orlando, créé avec le metteur en scène Nino Laisné. Le danseur y aborde le répertoire musical espagnol ancien. Tout en changeant de peau à chaque passage.
“Lorsque l’on parle d’ambiguïté à propos de mon approche je réponds par l’affirmative. Il y a évidemment des signes qui viennent troubler les identités et les significations dans mon travail. Mais à l’opposé je ne veux pas que cette ambiguïté devienne un mot d’ordre, une simple effet de modernité. Il y a le risque que cela se retourne sur sa cible. Il y a parfois dans le désir d’ambiguïté seul une façon de se préserver de tout ce qui est vulgaire. Hors chez Maro il n’y a pas cette volonté. Et c’est ce qui me séduit”.
Surtout le Français porte un regard admiratif sur le parcours d’Akaji Maro. “Je suis fasciné par ces artistes qui se maintiennent en scène et affirment que l’endroit de leur art c’est le corps. Cela est inspirant et tragique comme un corps inaliénable qui disparaîtra avec lui.” Et Akaji Maro de rebondir : “Je sens chaque jour un peu plus mes limites physiques. Mais cette douleur du corps peut m’ouvrir d’autres portes. Je m’éloigne de la précision pour errer dans l’imprécision.”
Philippe Noisettte
Paradise conception Akaji Maro du 30 novembre au 9 décembre Maison de la culture du Japon à Paris
Crazy Camel, conception Akaji Maro les 15 et 16 décembre Maison de la Musique de Nanterre
Dumy Moyi conception François Chaignaud 19 et 20 décembre , Romances Inciertos conception François Chaignaud et Nino Laisné 22 décembre Maison de la Musique de Nanterre
Akaji Maro: Danser avec l’invisible entretiens avec Aya Soejima (Riveneuve/ Archimbaud Editeur,12 €)
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