A Paris, la galerie Freedman Fitzpatrick organise la première exposition de l’artiste pourtant culte Frances Stark. Ses bricolages autour de montages vidéo explorent les affects de l’ère digitale et l’intimité en haut débit.
Avec le 11-Septembre, l’image entre dans son ère biotechnologique, écrit l’historien d’art W. T. J. Mitchell. Lorsque le numérique remplace la télévision s’ensuit une prolifération anarchique et comme autogénérée des images de guerre. Pour décrire l’infiltration de toutes les sphères de la réalité de l’image de guerre contemporaine, W. T. J. Mitchell se réfère au modèle cellulaire, et plus précisément à une cellule déréglée : clonée ou métastasée.
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Près de deux décennies plus tard, le constat tient toujours. Sauf qu’à l’irruption violente a succédé une habitude léthargique. Les images des conflits armés pénètrent notre intérieur domestique, sauf que nous ne prenons même plus la peine de les regarder. Tout juste d’y jeter un œil blasé, la sensibilité émoussée par la surstimulation visuelle et la prolifération des interfaces qui, en réalité, n’ont plus grand-chose de fenêtres ouvertes sur le monde.
Une dissolution dans l’éther de l’habitude
Cette inflexion, l’exposition U.S. Greatest Hits Mix Tape : Volume I à la galerie Freedman Fitzpatrick à Paris en prend la pleine mesure. L’artiste angeleno Frances Stark y présente six œuvres dont la simplicité est à la mesure de l’efficacité. Chacune juxtapose deux éléments : une vidéo YouTube d’une intervention militaire américaine et la piste audio de la chanson la plus vendue à ce moment-là. Cette synchronicité en apparence toute bête, l’artiste la transmet en filmant la vidéo en train d’être lue sur son ordinateur portable. L’interface YouTube est visible, tout comme une partie du décor alentour : un bout de son bureau avec ses notes et ses livres, un coucher de soleil baigné de mauve et d’orange sur Pasadena par la fenêtre de son studio, une patte de son compagnon félin qui passait par là.
La tablette sur laquelle est visionnée la vidéo de la vidéo est fixée sur un panneau accroché au mur, d’où pendouillent les écouteurs pour entendre le hit du moment, mais également tout un fouillis d’autres câbles, adaptateurs et branchements, habillés par des rubans de couleur, des clochettes ou des étiquettes griffonnées au marqueur. S’y trouve enfin la mention du lieu, épelé à partir de lettres découpées une à une dans des publicités de magazine. La customisation et les grigris feraient presque oublier le sujet, à savoir la corrélation entre impérialisme militaire et impérialisme culturel, hard power et soft power.
Cette dissolution dans l’éther de l’habitude est bien le sujet véritable, alors que l’installation montre les objets transitionnels placés non plus entre soi et le monde, mais entre soi et les images du monde. La cinquantaine entamée, Frances Stark transpose la méthodologie féminisme du « personnel comme politique » aux affects digitaux et à l’intimité en haut débit. Favorite d’un grand nombre d’artistes, exposée dans les plus grands musées du monde, explosant les vues sur Instagram (@therealstarkiller), cette exposition est pourtant sa première en France.
U.S. Greatest Hits Mix Tape : Volume I Jusqu’au 30 novembre, Galerie Freedman Fitzpatrick, Paris
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