Auteur d’une somme généreuse sur le sujet “film”, l’historien de l’art Philippe-Alain Michaud en explore les formes et utilisations bien au-delà du cinéma.
C’est une vaste entreprise de désenfouissement que celle menée depuis des années par l’historien de l’art Philippe-Alain Michaud autour de ce feuilleté qu’est le film ; le film (et pas le cinéma donc), que le conservateur du Centre Pompidou envisage comme un grand manteau dont il faudrait déshabiller l’objet de son étude pour mieux en révéler les formes, les contours et les atouts.
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Car “le film ne se confond pas avec le cinéma, estime Michaud. Ce qu’on appelle improprement ‘cinéma expérimental’ apparaît désormais comme la trace, tout au long du XXe siècle, du fait que l’histoire du film ne se confond pas avec l’histoire de sa déconstruction”.
Un panel de formes et d’expériences induites par la “forme film”
C’est donc à une histoire du film sensuelle, dense et éminemment plastique que nous invite l’auteur, dépliant un panel de formes et d’expériences induites par cette “forme film”, qui excède largement celles de la projection dans une salle obscure, à l’attention d’une assemblée immobile et invisible.
Et pour parler du film, PAM commence logiquement par le théâtre. Si l’effacement de la scène, tel que le conçoit le théâtre moderne, analysée par Derrida et Artaud avant lui, laisse une place vide immédiatement occupée par le cinéma, le film, au contraire, fait “ressurgir le moment de la scène”.
Le cas du dispositif architectural “Cinéma 81” de Dan Graham
C’est ce que montre par exemple le dispositif architectural Cinéma 81 de Dan Graham, qui écrit à son propos : “Contrairement aux autres cinémas qui doivent cacher aux spectateurs leurs propres regards et la projection, l’architecture permet aux spectateurs, à l’intérieur et à l’extérieur, de percevoir leur position, leurs corps et leurs identifications.”
Des décennies plus tôt, les vitrines du National Museum of American History de New York, confiées à l’anthropologue Franz Boas et conçues comme de “véritables promenades précinématographiques”, assument le côté spectacle.
Un “dispositif muséal, pensé comme un déroulé filmique”
Elles sont traitées comme des écrans ou des “tableaux vivants”, devant lesquels le spectateur est invité à circuler. “Ce dispositif muséal, pensé comme un déroulé filmique, laissera une trace durable tout au long du XXe siècle”, conclut PAM, qui s’appuie sur les recherches d’Aby Warburg concernant l’agencement des images et les opérations de montage.
Malléable à souhait, le film se prête à toutes les distorsions et renoue avec sa matérialité. On s’intéresse à l’usage de la pellicule, de la caméra, mais aussi aux techniques du collage et du montage qui participent du potentiel illusionniste du film. A la petite fabrique du film plutôt qu’à son pouvoir narratif : “L’erreur picturale, c’est le sujet. L’erreur du cinéma, c’est le scénario”, résumait Fernand Léger, l’auteur de Ballet mécanique.
https://youtu.be/2QV9-l-rXOE
Puis vient la mode des flicker films, ou “films clignotants”, dans la droite ligne d’Anemic Cinéma et des Rotoreliefs de Marcel Duchamp. Plutôt que “de suggérer un arrière-monde qui se déploierait au-delà de l’écran, (ils) refluent de celui-ci vers l’arrière-plan et vers le spectateur”, note PAM, qui s’appuie longuement sur les travaux de Paul Sharits ou de Peter Kubelka.
Des confins du protocinéma jusqu’aux années 2000
Dans le cas des films de la série Solid Light Works d’Anthony McCall, le film opère même un retour sur son origine et se concentre sur la magie de ses opérations, plutôt que sur ses effets. Des cônes de lumière substituent “à l’espace perceptif, un espace projectif”. Ils sont les “totems” de cette migration de la création cinématographique vers le cinéma.
Michaud pousse plus loin encore la lecture élargie du film, en convoquant dans ces pages les Floats et autres Creepies de Robert Breer – sculptures minimales qui se meuvent dans l’espace d’exposition de façon imperceptible et en modifient l’atmosphère, exactement comme le cinéma a le pouvoir de faire bouger les lignes et de nous transporter d’un univers à l’autre.
Le livre, ample et généreux, qui nous promène des confins du protocinéma jusqu’aux années 2000 avec le travail d’artistes comme Ceal Floyer ou Laurent Montaron (en passant par les recherches de Méliès, Brancusi ou Joseph Cornell), se conclut sur une analyse du travail de l’artiste pop-conceptuel John Baldessari, qui fit du story-board un matériau comme un autre.
En 2000, Baldessari, grand érudit du dispositif cinématographique dont il tord et essore avec jubilation tous les préceptes, eut cette formule : “J’ai commencé à regarder les tableaux alignés dans les musées comme des plans dans un film. Non pas renoncer à la peinture mais la penser comme un film, c’est-à-dire substituer à la conception statique et isolée de l’image une conception dynamique et sérielle du plan.”
Sur le film (Editions Macula), 464 pages, 38 €
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