Jusqu’à mi-décembre, la Fondation Calouste Gulbenkian met l’incertitude et ses corollaires – l’intranquillité, l’inconnu, le possible – à l’honneur en programmant une série de conférences, de films et d’expositions qui questionnent le temps présent et notre avenir. Vivifiant et stimulant.
Planquée derrière la façade anonyme d’un immeuble bourgeois du boulevard de La Tour-Maubourg à Paris, la Fondation Calouste Gulbenkian touche à nouveau juste en cette rentrée 2016. Après l’exposition Pliure en 2015 qui explorait la relation entre l’art et le livre, elle vient d’inaugurer son Festival de l’incertitude. Point commun entre ces deux événements : celui de laisser une grande place à la littérature et de partager le même commissaire, Paulo Pires do Vale, philosophe et critique d’art installé à Lisbonne.
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Célébrer l’incertitude aujourd’hui : l’initiative est de circonstance dans un contexte qui multiplie les zones de doute et d’inconfort. Reste à s’entendre sur le mot même. À le dépouiller de sa charge négative pour l’appréhender dans son sens philosophique et artistique : envisager l’incertitude comme « l’espace spacieux des possibles » et non comme « la mère de toutes les peurs ». Par sa capacité à perturber l’ordre établi et à déséquilibrer le système, l’incertitude est porteuse d’avenir, moteur de l’imagination et de l’action, ouverture au monde et à l’autre. Dont acte.
Un programme chargé
Jusqu’à mi-décembre, de nombreuses conférences (parmi lesquelles celle de Nicolas Giraud, Richard Zenith, Cédric Villani, Mathieu Copeland, Alain Touraine…) et deux expositions vont se succéder en son honneur. La première, De l’intranquillité, référence au chef-d’œuvre de Fernando Pessoa, bouscule les schémas d’exposition traditionnels et le visiteur avec, par son minimalisme et son… vide.
Elle s’ouvre sur une œuvre-phrase de l’artiste espagnole Dora Garcia, retranscrite à la feuille d’or sur le mur, et dont le titre et le sens, Il y a un trou dans le réel, pourrait à lui seul résumer l’esprit de ce festival. Ouvrir une brèche dans le réel et laisser faire, voir venir, sans être certain de ce que l’on va ou pas y trouver : voilà ce à quoi nous invite l’art (et la vie) quand on consent à l’incertitude.
La visite se poursuit avec la projection de deux courtes vidéos, irréelles et troublantes, l’une de l’artiste portugais Fernando Calhau (Destruição, 1975) et la seconde de João Onofre (Untitled, vulture in the studio, 2002) qui laisse littéralement planer l’intranquillité.
Relire le sublime Pessoa
Elle se conclut « en beauté » par la présentation sobre et sans artifice de la bibliothèque personnelle de Fernando Pessoa, trésor national portugais transporté de Lisbonne à Paris pour l’occasion, qui transforme l’espace d’exposition en une espèce d’atelier, lieu de l’intranquillité même, de l’oubli de soi et de la création.
Plusieurs centaines d’ouvrages qui racontent le grand écrivain portugais (et ses hétéronymes), ses intérêts, ses obsessions et ses contradictions s’alignent sur un long rayonnage vitré, autour d’une grande table de travail lambda. Dracula, La Divine Comédie, l’Odyssée, etc., côtoient des livres sur l’astrologie, le bégaiement ou l’histoire des religions… Parmi eux, quelques-uns sont consultables par le public. De « vrais faux » livres, soigneusement sélectionnés dans la bibliothèque de Pessoa par l’artiste Pierre Leguillon, dans le prolongement de son Musée des Erreurs présenté au Wiels et à Sérignan en 2015, et qui témoignent de la variété et de l’éclatement des références et des identités de l’écrivain. Jeu de piste et de rôle assuré.
Après « l’incertitude », le « possible »
Le deuxième temps fort du Festival, Du possible, sera logiquement celui de l’utopie. Il présentera, à partir du 17 novembre, une sélection d’œuvres reliées par la question du possible, du devenir et de l’inconnu, dans lesquelles s’entrecroisent l’individu et le collectif, l’art et le politique, le passé et le futur. Au générique de cette seconde exposition, plus classique dans sa forme, des figures et des artistes aussi différents que Michel Foucault, Robert Bresson, Sister Corita Kent, Douglas Gordon, etc., qui partagent tous une même volonté de transcender le réel pour mieux s’y confronter.
Renouer avec l’incertitude et l’imagination, changer sa manière de voir, ne plus avoir peur de l’inconnu. C’est, en cette veille d’élections, le mot d’ordre implicite de ce festival, qui fait singulièrement écho à deux autres manifestations brésilienne et parisienne actuelles : Vivre l’incertitude (32e Biennale de Sao Paulo, jusqu’au 11 décembre) et Faisons de l’inconnu un allié, le projet présenté par la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette dans l’ancien magasin Weber Métaux (du 11 au 23 octobre). L’incertitude, la valeur sûre de l’année.
Barbara Soyer
Festival de l’incertitude, 4 octobre – 18 décembre 2016, Fondation Calouste Gulbenkian, 39 bd de la Tour-Maubourg 75007 Paris
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