Déplacée de l’automne à l’été, la 7e édition (gratuite) de Move, festival de danse, performance, film et vidéo, est consacrée à la création féminine, l’incontrôlable et l’empouvoirée. Au fil d’espaces tout en suggestion, sorcières, ensorceleuses et guérisseuses apparaissent sans jamais s’offrir.
Depuis sept éditions, le festival Move s’installe, trois semaines durant, au niveau -1 du Centre Pompidou. Dans cet espace en accès libre, ouvert en son centre et dessinant alentour trois salles, la curatrice Caroline Ferreira convie à une exploration du corps contemporain : celui qui, hors des normes et ornières, réinvente ses formes d’apparition et d’être ensemble.
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L’attention est portée aux subjectivités queer, désidentifiées, mais aussi désirantes. Les artistes convié·es, elles et eux, sont souvent jeunes, toujours peu vu·es encore dans nos institutions. Alors, des tréfonds du musée d’art moderne, sourd une rumeur, la moiteur se fait, la frénésie et la torpeur se succèdent pour réinventer les formes chronopolitiques d’existence.
Cette année, l’accent est placé sur la création féminine, avec comme souvent une ligne filée à partir d’un ouvrage de théorie : en l’occurrence, cela sera cette année l’exploration par la philosophe et écrivaine Hélène Cixous de “l’hystérique” au XIXe siècle : figure sexiste de mise au ban et de disqualification des femmes, elle sera réappropriée en vecteur de puissance et de créativité.
Une scénographie pour voyeur·euses, cruiseur·euses et autres fugitif·ves
Ici également, l’édition explore tout autant le corps sexuel et sensuel que sa potentialité de faire trembler les murs normatifs de systèmes hérités. Entrent alors les sorcières, les guérisseuses, les jouisseuses, et tout un cortège spectral et fuyant de présences guerrières. Le festival, qui comprend une exposition centrale et une riche programmation évoluant chaque semaine, fait en cela la part belle à l’échappée.
Peu ou pas, dans l’exposition, de formes solides, de structures indéboulonnables, ni même de représentations de corps. Tout est fuyant, suggéré, changeant et moiré, à la lisière de l’immatériel. À commencer par l’installation centrale, confiée cette année à la jeune artiste Lara Dâmaso. Ici, un ensemble de voilages suspendus dessine une suggestion de circulation : tissus de feutre et de velours, rouges, noirs et blancs, disent déjà quelque chose d’une manière d’apparaître en se cachant, de regarder en choisissant – ou non – d’échanger, de répondre, d’inverser.
Dans les salles également, la potentialité de jeux de rôles est un axe majeur. La chorégraphe Alexandra Bachzetsis présente une grande installation, tirée d’une scénographie pour une pièce de théâtre, composée d’escaliers ne menant nulle part, d’assises ponctuées d’éditions et de deux vidéos : là, la sexualité se tisse à la mort, la violence subie au BDSM joué.
Odeurs, paranoïa et jeux de rôle
C’est encore, parmi les points forts, l’espace décliné par le duo Dorota Gawęda & Eglė Kulbokaitė. Les deux artistes furent, de 2013 à 2021, les fondatrices du Young Girl Reading Group, groupe de lecture collaboratif et phygital, qui fut l’une des ressources de l’accès aux corpus encore peu étudiés du cyberféminisme.
Ici, elles présentent une installation composée elle-aussi d’empreintes de leurs performances : paravents de gaze comme autant de boudoirs à peine marqués de passages de spectateur·rices, mais aussi diffuseurs synthétisant les parfums de performeur·euse·s infusés de plantes médicinales curatives.
Enfin, Marijke De Roover présente son installation vidéo Cum As Your Madness (2023), plongée horrifique et hallucinée dans une ère moyenâgeuse où l’on voit se construire les trames d’une oppression dont nous hériterons solidifiée. Adoptant le prisme d’un jeu d’exploration à la première personne, les ragots affleurent, les femmes puissantes sèment la terreur, fascinent, et en même temps, le patriarcat les chasse et tente de les museler.
Rien ne fait sens, tout échappe, la spirale paranoïaque s’épaissit. La réussite de cette édition est bien celle-ci : ne pas chercher à simplement inverser les normes héritées, ni seulement à déboulonner les contraintes spatiales et physiques. Mais plutôt laisser se diffuser l’absurdité et faire ressentir que là, précisément, se trouvent les possibilités d’échappée. Un laboratoire d’apprentissage, en somme, pour une édition tout en fugacité.
7e édition du festival Move. Corps indisciplinés / Merveilleux démons jusqu’au 2 juillet 2023 au niveau -1 du Centre Pompidou à Paris (exposition) et dans les étages selon une programmation à la semaine (performances)
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