Fête charnelle dédiée au photographe Ren Hang, Outside triomphe en Avignon en l’absence de son créateur interdit de sortir de Russie.
Une création ne tient qu’à un fil, semble nous dire Kirill Serebrennikov. Alors que les spectateurs gagnent leurs places, des techniciens harnachés à des filins grimpent vers les cintres pour terminer l’installation du premier décor sur le plateau : un agrandissement d’une œuvre du photographe chinois Ren Hang qu’ils déploient comme on maroufle du papier peint et recomposent de lai en lai. L’image vertigineuse d’un corps alangui, allongé nu sur le rebord d’un toit face à un paysage de gratte-ciel. Le calme de cette scène cache un drame puisque l’on sait que le jour de son anniversaire, Ren Hang s’est suicidé en se jetant du haut de cette terrasse le 24 février 2017. Outside témoigne donc d’une rencontre qui n’a pu se réaliser dans la vie réelle entre les deux artistes ; elle devient un dialogue posthume entre le personnage de Kirill et celui de Ren.
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Est-il nécessaire de rappeler le contexte de cette création ? La mise en examen de Kirill Serebrennikov au prétexte d’un soi-disant détournement de fonds et son assignation à résidence commencent en août 2017. Elle ne sera levée qu’en avril dernier, ce qui lui a permis de répéter avec les acteurs de son théâtre, le Gogol Center de Moscou, sans pour autant lui offrir la possibilité de venir en Avignon pour suivre les représentations, étant toujours privé de son passeport. Personne ne s’étonne alors d’un tissage dramaturgique entre le récit des épisodes de ce harcèlement judiciaire en Russie et les difficultés rencontrées par le photographe pour exercer son art librement en Chine.
“Je ne suis pas un couteau, je suis juste une balafre”
Reprenant la forme d’une comédie musicale digne de Broadway, la beauté d’Outside tient dans l’enchaînement des poèmes de Ren Hang et de tableaux où la danse, le chant et la musique s’accordent dans une célébration dionysiaque du plaisir de créer. La nudité des interprètes en devient l’étendard dans de multiples reconstitutions de séances de shooting, prétexte à des agencements de fleurs et de corps se réclamant du côté irrécupérable de la pornographie plutôt que d’un érotisme faux-cul. Un voyage qui va nous emmener sur les traces de Robert Mapplethorpe au Berghain, haut lieu de la nuit berlinoise. A la rencontre de la mère de Ren Hang qui livre ses recettes de cuisine, mais demeure dans le déni quant à la mort de son fils et son statut d’artiste. Celui qui voulait que ses modèles se mettent à nu devant lui pour les photographier avait l’extrême lucidité d’écrire : « Je suis venu dans le pays des couteaux. Je ne suis pas un couteau, je suis juste une balafre. » De cet être tourmenté, Kirill Serebrennikov nous offre un portrait solaire, tourné vers un désir d’exister exempt de la moindre concession. Outside devient alors le lieu d’une utopie harponnant le champ de l’art pour réinventer les possibles de la vie. Irrésistible.
Outside, mise en scène, scénographie, dramaturgie Kirill Serebrennikov, avec la troupe du Gogol Center de Moscou. Spectacle en russe surtitré en français et en anglais. Du 16 au 23 juillet au festival d’Avignon. Tournée en automne au CDN Normandie-Rouen.
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