Il était une fois “Gretel, Hansel et les autres”. C’est avec une réinterprétation des frères Grimm qu’Igor Mendjisky a choisi de faire honneur avec poésie à la ligne éditoriale du Festival d’Avignon. Un conte “pour adultes à partir de 7 ans” selon ses mots.
Et si les doudous pouvaient parler ? Et si les écureuils pouvaient dessiner ? Et si on allait dans la forêt cuisiner pour tout le village ? Tous ces “et si” ne sont pas sans rappeler les histoires que les enfants se racontent pour construire une réalité merveilleuse, un espace où la barrière entre les contes et la vraie vie n’a plus lieu d’être. Dans cette histoire, les humains ont perdu le goût des choses et se nourrissent par gélules. En filigrane, on comprend que cette épidémie tient moins du Covid-19 que du désenchantement du réel. Il s’agit donc de redonner au monde sa substance magique, de redonner aux humains, littéralement et métaphoriquement, le goût de vivre.
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Les spectateur·rices, mioches turbulents grondés par leurs parents, obtiennent pourtant d’eux une histoire portée par trois magnifiques acteur·rices : papa (Igor Mendjisky), maman (Esther Van Den Driessche) et leur ami (Sylvain Debry). On retrouve l’histoire d’Hansel et Gretel comme on la connaissait, mais au lieu d’être trop pauvres pour les nourrir, leurs parents sont trop occupés pour les aimer et le monde est trop triste pour les faire rêver. Une autre forme d’abandon donc, plus douloureux par certains côtés, car il laisse imaginer ce qui aurait pu être. Les deux enfants décident de partir à l’aventure dans la forêt pour sauver l’imagination.
Plongée subtile dans le monde de l’enfance
Pour l’occasion, l’austère église des Pénitents Blancs est transfigurée en chambre d’enfant. La scénographie, déjà belle inerte, est à couper le souffle quand elle prend vie. Un à un, les jouets s’illuminent, bougent, s’expriment. Par un subtil jeu de caméra, les espaces s’ouvrent et se dédoublent. La forêt et ses secrets apparaissent par un poétique film d’animation projeté au mur et les piliers de la chapelle des Pénitents Blancs deviennent de majestueux chênes.
Les trois comédien·nes jouent comme des enfants à tisser une histoire, tantôt avec des ombres chinoises, tantôt en faisant parler des peluches ou des bonhommes-chaussettes. Iels font défiler une galerie de personnages en multipliant les timbres de voix et les tics de langage. Leurs beaux visages se froncent de concentration et semblent rajeunir de vingt ans. Impossible, face à la scène, de ne pas retomber dans nos propres souvenirs d’enfance, les histoires qu’on nous lisait, les jeux qui nous faisaient rire, les aventures auxquelles on rêvait.
L’ensemble se révèle à la fois drôle et très émouvant. Le texte fait évidemment mouche dans une société où prendre le temps de voir grandir ses enfants est un luxe. Igor Mendjisky a su tirer l’essence du conte des frères Grimm et lui redonner toute sa justesse, en diapason avec sa propre expérience de père et de frère. Par ce texte, le dramaturge enjoint à préférer la dangereuse liberté d’une forêt plutôt que la sécurité d’un appartement ou d’un écran. Il invite à avoir foi en les enfants, en leur autonomie et leur intelligence.
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