De la geste wagnérienne, aux prémisses baroques de l’opéra, tous les états de la passion triomphent au festival d’Aix-en-Provence.
Sans qu’il s’agisse d’une thématique revendiquée, on peut avancer qu’à la croisée de trois œuvres découvertes au Festival d’Aix, c’est l’éternel bras de fer entre le désir d’aimer et l’abandon aux pulsions de mort qui est mis en réflexion sur les plateaux. De Tristan et Isolde à Combattimento, la théorie du cygne noir et Innocence, on explore une troublante litanie cristallisant des fragments du discours amoureux pour cibler les plus irraisonnées des passions et tutoyer les extrêmes.
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Sous la direction étincelante de Sir Simon Rattle, Simon Stone inscrit les amours légendaires de Tristan et Isolde dans les décors d’une action se déroulant aujourd’hui à Paris. Un réalisme qui permet au metteur en scène de se jouer à chaque acte d’une bascule onirique pour aborder des ailleurs s’affranchissant de toutes les règles quand il s’agit de traiter des intimes débordements du cœur réunissant les amants. Au ciel d’orage découvert au premier acte, depuis la vue d’un appartement situé dans une tour où l’on fête Noël, il substitue les images d’une mer démontée quand Tristan (Stuart Skelton) retrouve Isolde (Nina Stemme), la femme promise à son compagnon le roi Marke (Franz-Josef Selig) qu’il a pour charge d’escorter.
Au deuxième acte, alors que le couchant éclaire une agence d’architecture où travaille Isolde, l’éclair d’une déflagration transforme le ciel en boule de feu quand Tristan la rejoint. Digne des errances dans les méandres du temps revendiquées par Stanley Kubrick pour 2001, l’odyssée de l’espace (1968), la situation incite Simon Stone à démultiplier la figure du couple pour le représenter aux différents âges de la vie. Enfin, au dernier acte, puisque l’impossible amour qui les lie se moque de la mort, Simon Stone les embarque dans l’inquiétant train fantôme d’une rame de métro pour les piéger dans une folle boucle temporelle les condamnant aux enfers pour l’éternité.
Du grand art, mais qui n’est pas du goût de tous·tes à entendre les huées qui visent Simon Stone pour avoir osé s’attaquer à la lettre du mythe.
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Cadavre exquis
Avec Combattimento, la théorie du cygne noir, Sébastien Daucé et Sylvia Costa prennent comme point de départ le duel de Combattimento, joyau baroque de Monteverdi, où Tancrède est amené à tuer Clorinde, la femme qu’il aime, rendue méconnaissable sous l’armure qu’elle porte pour le combattre. À l’exemple de la naissance d’un cygne noir dans la théorie du statisticien Nassim Nicholas Taleb, le drame irréparable devient le ground zero d’un présent prenant date d’un avenir devenu imprévisible. Un prétexte choisi par le duo pour réunir des partitions signées entre 1638 et 1648 par des contemporains de Monteverdi et questionner ces visions alternatives comme autant d’hypothèses prospectives. Ce cadavre exquis d’œuvres rares autorise Silvia Costa à s’interroger sur la symbolique de la perte d’un amour et la capacité d’en faire le deuil en dépassant la question de l’intime pour l’élargir au sociétal. Un parcours d’énigmes scénographiques où l’on commence par lever les yeux vers les étoiles du ciel avant de revenir sur terre avec la maquette d’une ville idéale ruinée par l’explosion d’un champignon atomique. Une méditation sur le dépassement des douleurs humaines qui s’éclaire des voix d’une distribution hors pair.
Enquête policière
Sous la direction de la cheffe Susanna Mälkki, Innocence de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho est une nouvelle occasion de célébrer les talents de Simon Stone au regard d’une création annulée l’année dernière pour cause de pandémie. Pour cette chronique en forme d’enquête policière, une mère (Magdalena Kozena) est amenée à exercer son métier de serveuse lors du mariage du fils cadet d’une famille dont l’aîné s’est rendu coupable d’une tuerie durant laquelle sa fille Lilly (formidable Beate Mordal) a été assassinée. Ici, les temporalités se chevauchent pour témoigner du présent des noces et revenir dix ans après sur la scène du crime dans l’école internationale où dix élèves et leur professeur ont perdu la vie.
Optant pour le décor tournant d’un bâtiment opérant des mues successives pour représenter le restaurant où se déroule le banquet et le lieu où s’est perpétué le massacre, Simon Stone crée un espace mental anxiogène que se partagent les vivants et les morts. Un tour de force qui rend hommage à l’implacable intrigue tissée par Kaija Saariaho. Vidant le présent d’une prétention au bonheur, l’œuvre tire le fil rouge de la rencontre impossible entre la mère et la fille pour devenir, au nom de l’amour, le creuset d’un cérémonial de deuil libérateur des consciences et des âmes. En présence de la compositrice, les ovations des saluts associent, cette fois, la cheffe et le metteur en scène. Tous deux étant longuement applaudi·es pour la création de ce chef d’œuvre au message aussi sensible que politique.
Festival d’Aix-en-Provence jusqu’au 25 juillet
Tristan et Isolde de Richard Wagner, direction musicale Sir Simon Rattle, mise en scène Simon Stone. Les 5, 8, 11 et 15 juillet, en allemand surtitré en français et en anglais, Grand Théâtre de Provence.
Combattimento, la théorie du cygne noir de Giovanni Battista Buonamente, Claudio Monteverdi, Tiburtio Massaino, Francesco Cavalli, Giacomo Carissimi, Tarquinio Merula et Luigi Rossi, direction musicale Sébastien Daucé, mise en scène et scénographie Silvia Costa. Les 5, 7, 9, 10, 14, 16 et 18 juillet en italien surtitré en français et en anglais, Théâtre du jeu de paume.
Innocence de Kaija Saariaho, direction musicale Susanna Mälkki, mise en scène Simon Stone. Les 6, 10, 12 juillet, en anglais, finnois, tchèque, roumain, français, suédois, allemand, espagnol et grec surtitré en français et en anglais, Grand Théâtre de Provence.
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