L’humoriste français jouera en juillet son spectacle “Aime-moi si tu peux” dans le temple du tennis. Rencontre autour de sa vision du stand-up, ses apparitions au cinéma ou dans des séries, sans oublier ses projets musicaux.
Insolent, subversif, incisif : Fary est tout cela à la fois depuis son premier spectacle, Fary Is the New Black (2018). Un humoriste qui prend le phénomène du comique avec le plus grand sérieux et en use avec un art consommé de la vanne pour mener des analyses sociologiques de la France, à l’aune de son histoire personnelle, enfant issu d’une famille originaire du Cap-Vert et ayant grandi en banlieue.
Découvert à moins de 20 ans à travers des émissions de télévision, Fary a depuis joué ses spectacles dans toutes sortes de salles, des comedy clubs à Bercy en passant par le Théâtre du Rond-Point et la Salle Pleyel. Mais là où il nous donne rendez-vous le 7 juillet, il est bien le premier à s’y produire pour un spectacle. Le stade Roland-Garros, lieu emblématique du tennis, prendra ainsi une nouvelle dimension pour devenir un espace rêvé pour celui qui possède l’art de renvoyer la balle et qui se présentera, sur le court principal, sans filet et pour un show unique.
L’humour, dans votre enfance, c’est d’abord celui des autres qui vous inspire ou c’est un don inné que vous découvrez tôt ?
J’ai un peu de mal à croire à l’inné. Je pense que c’est une somme d’expériences et de hasards, de choix aussi. Si je dois penser à quelqu’un de drôle dans mon enfance, c’est mon père, qui me fait encore beaucoup rire. Je suis originaire du Cap-Vert, et pour nous, culturellement, l’humour est un moyen de communiquer. Là-bas, tout le monde fait tout le temps des vannes. C’est quelque chose qui nous fortifie depuis le plus jeune âge, ça nous apprend très tôt à encaisser et à prendre les choses de façon plus douce.
“Pour moi, l’humour, c’est un vecteur, un lien concret avec les gens”
L’humour comme arme ou comme défense ?
Je pense que ce sont deux choses très différentes. Si on l’utilise en défense, on peut en faire quelque chose de positif et de fédérateur, alors qu’en tant qu’arme, ça peut blesser et frustrer des gens. Pour moi, l’humour, c’est un vecteur, un lien concret avec les gens et ça révèle aussi une capacité de recul et de compréhension, de l’autre comme de soi.
Vous commencez très tôt dans le stand-up, encouragé par une prof de lycée. Comment un adolescent se dit : “Je vais me lancer dans le spectacle” ?
Je ne me le suis pas dit. Moi, je n’y croyais pas.
Qu’est-ce qui lui a fait dire ça alors ?
Elle nous a demandé qui avait déjà travaillé avec une association. Il se trouve que mon oncle le faisait et qu’il invitait des enfants à venir faire des spectacles. Moi, je venais faire des sketchs. Je raconte ça en cours et ma prof me dit : “Un jour, je t’écrirai un one-man-show.” L’année d’après, on a commencé à écrire ensemble et ça a duré près de quatre ans.
Quelle est votre définition du stand-up ?
C’est une vision poétique du monde raconté par le biais de l’humour, dans le but de s’approcher au maximum d’une forme de sincérité absolue. Pour l’atteindre, je pense que ça nécessite toute une carrière, mais c’est tout l’objet de la recherche d’un humoriste. À ce propos, j’ai écouté un super podcast de Quentin Lafay avec Adrien Dénouette [Comment la France réprime son rire, sur France Culture], auteur de Nik ta race, une histoire du rire en France, un livre qui raconte à quel point l’humour a été réprimé et a régressé au fil du temps. C’est Pierre Niney qui dit cette phrase qui m’a beaucoup marqué : “En France, le problème avec l’humour, c’est qu’il n’est pas pris au sérieux.” Il n’y a pas cette intensité et cette dévotion accordées aux scénarios comiques qui existent en Amérique.
Dans ce podcast, Adrien Dénouette dit que quand Dumb and Dumber, avec Jim Carrey, sort aux États-Unis, il est primé, et c’est seulement des années plus tard qu’on commence à lui donner de l’importance en France, parce que la culture y est dictée par une classe bourgeoise qui porte un jugement sur certains corps de métier artistiques, notamment l’humour. Contrairement aux États-Unis, où Barack Obama président fait des blagues dans son discours. Les vannes, là-bas, c’est institutionnalisé et culturel. Mais leurs stand-up ont une portée philosophique, on dirait des sociologues dans l’approche de leurs blagues.
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Vous revendiquez de défendre un art avec l’humour. Quel est son matériau spécifique ?
La poésie. Un regard en décalage sur quelque chose qui paraît banal. Tout peut être poétique, ça dépend du regard qu’on va poser dessus.
Avant votre premier spectacle, vous vous faites connaître dans l’émission de télé On n’demande qu’à en rire. La télé, c’est un peu le parcours obligé pour les humoristes ?
Aujourd’hui, ça ne l’est plus, mais ça l’était à l’époque. Maintenant, on n’a plus besoin de passer à la radio pour avoir du succès en musique, parce qu’il y a TikTok. On n’a plus besoin d’intermédiaire entre l’artiste et le public. Je ne veux pas parler négativement de l’émission On n’demande qu’à en rire de Laurent Ruquier mais, avec le recul, je ne peux pas en penser du bien tellement ça a été violent pour moi. Au point que j’aurais pu arrêter l’humour.
“C’est catastrophique de noter une blague, ça ne veut rien dire, elle fait rire ou pas”
Ça s’est joué à quoi alors ?
À l’ego. [rires] Cet ego forgé par les vannes faites depuis tout petit. Avec cette émission, on te met dans la tête qu’en passant là-bas, on peut avoir du succès et devenir un humoriste. C’est faux. Qu’ils fassent de la scène depuis des années ou depuis quelques mois, tous étaient jugés et notés de la même façon. C’est catastrophique de noter une blague, ça ne veut rien dire, elle fait rire ou pas, c’est tout. Avec l’émission On n’est pas couché, c’était différent. C’est un talk-show où le présentateur nous donne la possibilité de venir faire une chronique comme humoriste plus ou moins établi.
Qui sont vos héros dans le stand-up ?
Au tout départ, c’est Élie Kakou. Je suis très jeune quand je le découvre et quand je vois Madame Sarfati, je ne sais pas qu’il y a un humoriste derrière. Pour moi, c’est de la magie. J’ai effectivement fait partie de cette génération qui a été “traumatisée” par Jamel et Gad Elmaleh. Après, Pierre Desproges est très important pour sa façon de manier la langue, de jouer avec les mots, pour son élégance. On prête à notre génération la volonté de trop faire comme les Américains ou de faire un truc qui n’est pas foncièrement français dans la forme, et on prend souvent en exemple Coluche ou Desproges. Mais, par exemple, cette citation de Pierre Desproges, “On me dit que des juifs sont entrés dans la salle”, c’est librement inspiré de Lenny Bruce, un des premiers grands stand-uppers [né en 1925] aux États-Unis qui a dit dans un de ses sketchs : “A priori, il y a des nègres dans la salle.” Il a vraiment posé les bases de la subversion dans le stand-up, avant les George Carlin et Richard Pryor.
Lenny Bruce était suivi par le FBI pour savoir ce qu’il allait dire sur scène. Le stand-up vient essentiellement de cette culture-là, à savoir tout ce qui est de l’ordre du discours. C’est pour ça que Desproges a été l’une de mes références au départ. Après, arrive Chris Rock qui vient incarner de manière frontale cette idée que je m’adresse directement au public et que je ne joue pas quelqu’un d’autre que moi sur scène.
“Je pense que ce qui crée des icônes, c’est la puissance d’un discours”
Vous arrivez à nous faire rire sur des sujets qui ne s’y prêtent pas, comme la crispation identitaire, le racisme… C’est important de faire passer des messages ?
Je n’ai jamais imaginé l’art autrement. Celui qui m’a donné envie d’avoir un discours sur scène, c’est Kery James. Il représente l’engagement par tout ce qu’il raconte et par tout ce qu’il est. Pour moi, c’est même l’un des propres de l’art. Je pense que ce qui crée des icônes, c’est la puissance d’un discours. Bob Marley aussi m’a donné envie d’être un artiste.
Quand vous êtes acteur au cinéma ou dans des séries, ça vous plaît de quitter votre place d’humoriste pour vous mettre dans la peau d’un autre ?
Le cinéma, c’était mon rêve au départ et le stand-up s’est mis en travers ! Mais maintenant, je suis trop habitué à la création contrôlée de bout en bout. Cela dit, je peux tout faire avec Jean-Pascal Zadi parce que je lui fais confiance, même si Tout simplement noir, je n’y croyais pas. J’y suis allé parce que c’était lui et son idée de porter un discours. Mais le fait de ne rien maîtriser, de la façon dont c’est filmé au montage, à la publicité et à la communication faites autour… Et puis, c’est long un tournage, ça m’ennuie. Par contre, quand on joue, c’est incroyable. Tout d’un coup, ce que l’on faisait quand on était enfant, ça devient très sérieux, avec des gens qui sont payés pour ça ! C’est vraiment un sentiment incroyable.
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Depuis 2016, vous avez créé trois spectacles. Qu’est-ce qui a changé dans votre approche de la scène ?
Plus ça va et plus je les vois comme une évolution personnelle où je suis de plus en plus à l’aise face au public. La personne qu’on voit dans Fary Is the New Black, c’est moi qui ne connais pas les gens et semble très hautain, parce que foncièrement timide. Dans Hexagone, je m’ouvre un petit peu, je parle un peu plus de moi et suis un peu plus souriant. Dans Aime-moi si tu peux, je parle encore davantage comme je suis dans la vie de tous les jours, je me montre plus vulnérable, plus sympathique. Au fur et à mesure, je me rapproche d’une forme de sincérité.
Vous décortiquez la construction sociale autour du couple et de l’engagement. Comment trouver les bons mots pour en parler ?
D’abord, à partir des réactions que j’ai eues au départ. C’était plutôt violent parce que ça donnait une image misérabiliste de ma vision du couple. Du coup, j’entrais beaucoup en confrontation avec le public et ça créait parfois des débats. Je me suis posé beaucoup de questions. L’autre chose, c’est d’être entouré de femmes. Ma compagne était forcément concernée et elle avait un certain droit de regard, ce qui a forcément orienté ce que je raconte et j’ai eu une conversation qui m’a aussi beaucoup débloqué avec l’humoriste Laura Domenge. Son point de vue de femme sur ce que je faisais m’a aidé à m’orienter du bon côté et à me questionner de la bonne façon.
Et puis c’est beaucoup de discussions dans la vie de tous les jours, sans second degré, beaucoup de lectures aussi au préalable – Olivia Gazalé, Esther Perel –, pas mal de podcasts aussi. J’ai la volonté d’avoir un regard qui ne soit pas neutre mais qui ne soit pas non plus positionné d’un côté ou de l’autre.
En juillet prochain, vous jouez pour une soirée votre spectacle au stade Roland-Garros. Comment a germé cette idée ?
C’est parce que je suis un frimeur ! Non, en fait, c’est parce que je suis passionné par la communication, la façon dont on raconte une proposition. Je rêvais d’aller dans des salles comme le Casino de Paris, le Théâtre du Châtelet, le Théâtre du Rond-Point, les Bouffes du Nord, l’Olympia… Je les ai toutes faites et l’une des dernières salles que j’avais envie d’essayer, même si ça a moins de cachet parce que c’est un peu grandiloquent, c’est le Dôme de Paris-Palais des Sports. Son défaut, c’est que la salle étant plus populaire, tout le monde passe au Dôme de Paris ! [rires] Du coup, comment je fais quelque chose d’excitant à raconter ? Soit je fais l’Accor Arena, soit je fais les Bouffes du Nord, et alors je ne m’adresse pas aux mêmes personnes. À Roland-Garros, si, je m’adresse à tous.
C’est historique, légendaire, et tout le monde connaît Roland-Garros. Entre ceux qui l’ont vu à la télé et ceux qui y sont allés, la proportion est vraiment réduite. Moi je n’y suis jamais allé, et c’est une expérience que je voulais vivre avec le public et avec mon spectacle. Le sujet, c’est même pas l’humour, c’est tout simplement qu’il n’y a jamais eu de spectacle dans ce stade.
Vous serez où ? Au milieu, à la place du filet ?
Exactement. Je ne serai pas dans la même position que le filet, mais je serai au milieu, à 360 degrés, comme le spectacle que j’ai fait à Bercy.
“Avec Netflix France, il n’y a pas le même respect et la même considération pour l’humour que Netflix aux États-Unis”
La vie de vos spectacles continue sur écran, disponibles en streaming : que pensez-vous de ce format aujourd’hui ?
Être sur Netflix, c’était l’un de mes rêves et de mes objectifs. Mais c’est une grande multinationale avec la maison mère et différents pôles selon les pays. On en revient à ce qu’on disait tout à l’heure : avec Netflix France, il n’y a pas le même respect et la même considération pour l’humour que Netflix aux États-Unis. En France, je ne sais même pas s’ils vont continuer à faire des créations originales. C’est super-frustrant d’avoir le sentiment d’être allé quelque part où on donne de l’importance au stand-up pour finalement réaliser qu’au fil des années ça devient comme le reste.
Vous accompagnez des talents dans la réalisation de leurs spectacles, comme Panayotis Pascot : qu’est-ce qui vous motive dans cet exercice ?
Il y a beaucoup de crédit à retirer avec le spectacle de Panayotis et je ne dis pas du tout ça par fausse modestie, c’est en grande partie dû au regard qu’il a, aiguisé, et au talent qu’il a acquis depuis tout jeune. C’est quelqu’un de brillamment drôle. Moi, je vais penser à faire une blague, lui, il pense blague, c’est un mécanisme de pensée. C’est pour ça que j’ai commencé à travailler avec lui. C’est comme avec Jason Brokerss : parfois, on a le sentiment qu’on ne peut pas suivre ou qu’on ne peut pas avoir de discussion sérieuse, parce que leur façon de communiquer, c’est l’humour. Je mets aussi en scène Fadily Camara. Ce sont toujours des gens qui savent faire ce que je ne sais pas faire. La mise en scène de stand-up, c’est très différent du travail au théâtre. C’est plus de la direction d’écriture, un regard extérieur.
Cet été, vous avez publié en vidéo sur YouTube un extrait du spectacle en avant-première : 30 Minutes avant mon prochain spectacle. Dans quel but ?
C’était au moment de la sortie d’un EP avec des extraits de musique et de stand-up. J’ai voulu mettre dans la tête des gens que je me lançais dans la musique et annoncé que je participais au festival We Love Green. L’idée, c’était de flirter avec le bad buzz : Fary se lance dans la musique et en fait, à We Love Green, j’ai donné un extrait de mon spectacle. Cela dit, j’ai de vrais projets musicaux, ça fait environ deux ans et demi que je fréquente des studios de musique, que je fais des maquettes et je viens de signer avec un label.
“Ce que je ressens dans la musique, c’est une liberté différente et un rapport organique plus évident dans les prémices de la création”
Pour vous, la musique, c’est aussi un moyen de faire passer des messages ?
Bien sûr. Ce que je ressens dans la musique, c’est une liberté différente et un rapport organique plus évident dans les prémices de la création. La musique, souvent, ça vient d’un endroit qu’on n’explique pas, ça a l’air quasi magique, on ne sait pas exactement ce qui se passe, c’est comme une espèce de transe. Une fois qu’on a ça, cette bouillie un peu organique, on va la structurer pour que ça devienne efficace, en faire des couplets, des refrains, doubler des voix, retirer du gras… Pour moi, la portée cathartique est bien plus évidente dans la musique.
Qu’est-ce qui ne vous fait pas rire du tout ?
La moquerie. J’aime bien vanner les gens, mais il faut que ça les fasse rire. Par exemple, le sketch Le Legging que j’ai fait il y a plusieurs années, je ne sais pas si j’en suis content aujourd’hui parce qu’il flirte de façon très proche avec la grossophobie, avec un peu de misogynie.
Y a-t-il des thèmes que vous aimeriez aborder mais qui sont compliqués à mettre en forme pour la scène ?
Oui, notamment sur le consentement. Comment je peux raconter quelque chose qui soit intéressant, pas démagogique, et qui ne vienne pas brusquer les gens. Je suis en plein dedans en ce moment et ça va arriver très vite parce que je veux remettre bientôt du contenu sur YouTube.
Aime-moi si tu peux au stade Roland-Garros, Paris, le 7 juillet. Fary Is the New Black et Hexagone sur Netflix.