Mêlant muséographie, recherches historiques, création contemporaine et vente de vêtements, Atelier E.B propose une contre-histoire de la mode vernaculaire à la Fondation Lafayette.
“La plupart des gens ont surtout envie de se prélasser en jogging et en sweat bleu marine ! Et nous, nous avons toujours voulu créer les vêtements que nos amis ou que nous-mêmes aurions envie de porter.” Ces habits vernaculaires dans lesquels il fait bon vivre, qui libèrent le corps plutôt qu’ils le contraignent, Atelier E.B les confectionne.
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Derrière le label, il y a Beca Lipscombe et Lucy McKenzie. Au mitan des années 2000, elles se rencontrent à Edimbourg. La première est créatrice de mode et styliste, elle s’intéresse de plus en plus au textile plutôt qu’à une industrie où elle ne se retrouve pas vraiment.
“J’ai réalisé que je n’avais aucune idée de la manière dont les habits atterrissaient sur mon dos”
Lucy McKenzie
La seconde est artiste, elle peint mais contamine sa pratique de considérations venues des arts décoratifs, employant notamment dans ses dernières toiles les techniques du trompe-l’œil. Atelier E.B naît en 2007. “J’ai réalisé que je n’avais aucune idée de la manière dont les habits atterrissaient sur mon dos”, raconte Lucy McKenzie. “Venues de champs différents, nous nous sommes rendu compte que nous partagions néanmoins une même éthique : toutes deux, nous attachons de l’importance aux circuits de production locaux, éthiques et autosuffisants.”
Confection de vêtements, et non de mode
A partir des ressources de production offertes par les quelques industries de textile encore en activité en Ecosse, elles commencent alors à faire confectionner leurs premiers vêtements – la terminologie importe : elles ne parlent pas de mode, mais bien de vêtements. Après les Serpentine Galleries à Londres à l’automne, Lafayette Anticipations accueille sur deux étages une présentation solo d’Atelier E.B.
Nos nouvelles expositions, #expoAtelierE.B et #expoCamilleBlatrix ouvrent leurs portes aujourd'hui. L'accès aux expositions est désormais gratuit pour tou.te.s ! pic.twitter.com/qXjVhxyCtC
— Lafayette Anticipations (@LafAnticipation) February 21, 2019
En vitrine d’un faux magasin aux couleurs fanées (un tartan rose poussière, vert pistache-oubliée-au-fond-du-paquet) sont disposées les pièces de leur dernière collection aux motifs antiquisants. Tiraillées par des épingles invisibles, elles sont figées en une danse aérienne. La présentation rappelle l’art des vitrines encore pratiqué dans les petites boutiques de province. On jurerait avoir déjà vu le magasin au charme suranné quelque part : peut-être en flânant dans les ruelles dans une station balnéaire du littéral flamand, ou alors au hasard des arcades d’un centre commercial désaffecté napolitain.
“Il est très difficile d’exposer des vêtements ordinaires. La plupart du temps, les expositions de mode se concentrent sur la haute couture. Spectaculaire en soi, elle le devient davantage encore lorsqu’elle rentre au musée”, racontent-elles. Cette difficulté initiale les mène à tisser toute une contre-histoire vernaculaire de la mode intimement liée à ses formes de présentation et de commercialisation, via les évolutions de l’art des vitrines ou de la représentation des mannequins.
Aéropage de mannequins documentaires
A la Fondation Lafayette, la fausse vitrine est complétée par un showroom où l’on peut essayer et acheter les vêtements, mais également par un aéropage de mannequins issus de différentes périodes et des vitrines présentant la documentation historique des recherches qu’elles ont entreprises il y a deux ans. A l’étage, Atelier E.B a donné carte blanche à des artistes (Tauba Auerbach, Anna Blessmann, Marc-Camille Chaimowicz, Steff Norwood, Bernie Reid et Markus Selg) à qui elles ont demandé d’imaginer une présentation attractive pour leurs vêtements. Pour faire exposition, il a fallu, pour ainsi dire, équarrir puis présenter les différentes parties de l’écosystème de la mode, où tout est habituellement fait pour que les étapes s’effacent devant l’effet final.
Atelier E.B ne vend pas ses collections en magasin. Certes, elles le sont via Facebook ou Instagram, mais c’est essentiellement l’exposition qui leur sert de cadre de monstration et de commercialisation – chaque nouvelle exposition donne lieu à une nouvelle collection.
[ EXPOSITION ]
"Passer-by" de L'Atelier E.B aura lieu du 21 février au 28 avril à @LafAnticipation https://t.co/kvOypouVfZ pic.twitter.com/Bt3bqv7c9f— Cultures de Mode (@culturesdemode) February 21, 2019
L’aspect d’intégration du circuit commercial à l’exposition les rattache également à tout un pan de pratiques artistiques contemporaines. “ça serait peut-être ce qui nous différencie des autres designers expérimentaux des années 1990 ou 2000, comme Susan Cianciolo, Bernadette Corporation ou Imitation of Christ. Leurs créations sont extraordinaires, mais il était toujours très frustrant de se rendre compte qu’on ne pouvait pas les acheter. Non pas que nous en aurions eu les moyens, mais la qualité d’existence de ces pièces en était impactée : elles étaient réduites à un statut d’images inaccessibles.”
L’art d’Atelier E.B s’épanouit dans l’alternative
Depuis les années qui ont suivi le krach de Wall Street de 2008, l’art est fasciné par les systèmes économiques : les artistes investissent les cryptomonnaies (Simon Denny) ou la location d’appartements (Christopher Kulendran Thomas). A l’automne, le solo-show du label Eckhaus Latta au Whitney Museum mêlait installations conceptuelles et concept stores.
Si l’autocritique comme esthétique sévit actuellement dans le monde de la mode (la collection Balenciaga de l’automne 2017 frappée du logo Kering, le groupe de luxe de François-Henri Pinault, propriétaire de la marque), l’art permet au contraire à Atelier E.B de s’extraire de toute ironie ou cynisme. Plutôt que la critique d’un système, elles s’épanouissent dans l’alternative : “le monde de l’art a beau avoir ses problèmes, nous y trouvons néanmoins un peu plus d’espace et de soutien.”
Passer-by d’Atelier E.B Jusqu’au 28 avril, Lafayette Anticipations, Paris IVe
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