Au Jeu de Paume, à travers l’exposition “Cartes et territoires”, le photographe Luigi Ghirri nous invite à découvrir une représentation du monde où l’homme tend à la modification permanente des paysages qui l’entourent. Des images comme un état des lieux.
Une vision nous visite quand on randonne dans l’exposition consacrée à Luigi Ghirri : certaines de ses images pourraient être des photos de repérage pour un film d’Antonioni qui n’a jamais été tourné. Comme lui, Ghirri ne fait pas des plans mais des relevés.
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Le cadre dans le cadre
Avant de devenir photographe au début des années 1970, il fut géomètre. Ses photographies sont comme des mesures évaluant les distances, les profondeurs. Un état des lieux de son pays et surtout de la ville de Modène, dont il ne s’est jamais longtemps éloigné. Rues plutôt vides, magasins souvent fermés, maisons fréquemment claquemurées, affiches déchirées.
Des voyages minimaux où les couleurs franches virent au pastel, où les personnes sont des personnages, figés et fondus dans le décor comme par un flash atomique. Mais cette “profession reporter” sur une planète en instance d’être désertée, le passé de ces instantanés jouant alors avec notre actualité, est exhaussée par des gestes hors la loi.
Ghirri cadre des coïncidences, par exemple entre un morceau d’affiche publicitaire où figure un couple assoupi et le fragment de buisson qui le surplombe. Ce n’est pas un collage mais comme il le disait “un montage trouvé”. Autre trouvaille, le cadre dans le cadre, tel ce découpage du parc de Versailles dicté par les croisillons d’une des fenêtres du château.
Le désir de s’approcher jusqu’à frôler l’abstraction
Autre aventure qui vient du dedans, un trouble de l’échelle. Si l’homme est mesure de toute chose, il en est aussi la démesure. Dans un parc de Rimini où sont installées des miniatures de monuments célèbres, Ghirri photographie les visiteurs tels des géants prêts à écrabouiller toutes les merveilles du monde.
Ce dérèglement de la perception est une permanence dans l’œuvre de Ghirri. Jusqu’à sa mort (à 48 ans) en 1992, il oscille entre le désir de s’approcher jusqu’à frôler l’abstraction, et celui tout aussi incandescent de s’éloigner jusqu’à la dissipation.
D’une part, le gros plan d’une mosaïque dont les carreaux multicolores sont une prémonition de la pixellisation des images contemporaines. D’autre part, la série Infinito où Ghirri, chaque jour de l’année 1974, prend une photo de nuage, de ciel et de soleil.
Ces mouvements antagonistes relèvent d’une même dynamique : rendre visible l’invisible, rendre l’invisible, tangible. Atteindre ce moment où le mesurable cadré devient un incommensurable hors-cadre.
Des photographies à la fois familières et intempestives
Toutes les photographies de Ghirri sont à la fois familières et intempestives. Ainsi la série Atlas. Collectionneur de plans et de cartes dont sa bibliothèque était farcie (il en a photographié quelques volumes en guise d’autoportrait), Ghirri s’est focalisé sur des fragments de géographie : on s’y retrouve à déchiffrer des noms d’océans ou de continents, on s’y perd à la lumière d’éclairages crépusculaires.
Ombres et signes du temps. Sans être jamais certain qu’il y ait au delà de ce rêve la moindre fêlure. Mélancolie de cette image où une main, sans doute celle de Ghirri, griffe la surface d’une mappemonde.
Le monde des humains qui s’échine à tout rayer de la carte. L’univers qui résiste à ce qu’on lui fait subir, en paroles, en actions, en images.
Luigi Ghirri. Cartes et territoires Jusqu’au 2 juin, Jeu de Paume, Paris VIIIe
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