Marque de mode, collectif d’artistes, projet curatorial et bientôt galerie d’art, « Nouvelle Collection Paris » dévoile chaque saison une collection d’oeuvres portables créées par des artistes contemporains. A travers un défilé, un showroom et des performances, elle investissait le week-end dernier le centre d’art La Panacée à Montpellier.
L’indéboulonnable Andy Warhol l’avait prédit : « Tous les musées deviendront des grands magasins et tous les grands magasins deviendront des musées. » écrivait-il dans The Philosophy of Andy Warhol (From A to B & Back Again) en 1975. A l’heure où les marques de luxe collaborent avec des artistes pour designer leurs sacs à main, concevoir leurs vitrines et se paient des fondations, à l’heure où les lieux d’art développent leur image de marque, vendent goodies et savoir-faire à l’étranger et se mutent en entreprise, à l’heure, enfin, où les centres commerciaux accueillent en leur sein des expositions et des projets d’art, et bien, nous y sommes. Nous y sommes presque.
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Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup
Co-fondatrice et directrice de Nouvelle Collection Paris, Sarah Nefissa Belhadjali l’a bien compris. Notamment parce qu’elle en a fait l’expérience : alors encore étudiante aux Beaux Arts de Paris, son directeur Nicolas Bourriaud – le même qui aujourd’hui l’invite à la Panacée- loue les locaux de l’école à la marque Ralph Lauren pour l’organisation d’un défilé et d’un dîner. La marchandisation se sera finalement infiltrée partout, même dans les terrains à priori consacrés et défendus de l’art et de l’enseignement.
Plus que jamais, les frontières entre l’art, la mode, le commerce, le marketing, le public ou encore le privé sont poreuses. Et c’est bien sur ces bases glissantes que la marque Nouvelle Collection Paris a bâti son petit empire dans le monde de l’art émergeant français. Elle a ainsi pris insidieusement part à ce système de vases communicants et a jeté un bon coup de projecteur sur ce nouvel état de fait. Est-ce pour mieux s’en moquer, le dénoncer ou pour le pervertir ? Pour en questionner les limites en tout cas. Soit disant, quand c’est flou, y-a-t-il toujours un loup ? A quels niveaux les sphères qui structurent les sociétés sont-elles perméables entre elles?
La fiction devient réalité
Fondée en 2016, la marque Nouvelle Collection sème ainsi localement la confusion. Galerie d’art ? Marque de mode ou collectif d’artistes ? Ce qui est sûr, c’est que Nouvelle Collection est un projet hybride et que les vêtements et accessoires qu’elle propose sont des oeuvres portables réalisées par des artistes sélectionnés par la directrice artistique Sarah Nefissa Belhadjali. Dans le catalogue on compte à ce jour: des vêtements pour plante (Sarah Nefissa Belhadjali), des tatouages-étiquettes (Charlotte Nicoli), des écharpes au nom des grandes galeries (Aurore Le Duc -avant que Maurizio Cattelan ne décline le concept pour les musées), un sac pour les sculptures Oiseau dans l’espace de Brancusi (Alexis Chrun), une brassière-pistolet (Alexandre Arbouin et Garance Poupon Joyeux), une robe pour quatre personnes (Charline Gdalia) ou encore une masque-cadre ( Pierre Graizon).
Comme au supermarché, comme dans un musée, chacun peut faire son shopping et sans vergogne juger et repérer les artistes qu’il préfère. Somme toute : être consommateur mais « grâce à » Nouvelle Collection, l’incarner dans les règles de l’art. Nouvelle collection a trois collections à son actif. Comme toute marque qui se respecte, elle a aussi un site internet, une boutique, des lookbooks, des cartes de visite, des t-shirt floqués et un logo clean et minimal cultivant avec ironie cette distance chic typiquement parisienne. Comme toute marque qui se respecte, elle communique également à grand coup de stories et autres posts sur les réseaux. Toujours avec un professionnalisme confondant. C’est qui ce lui donne sa saveur si corrosive.
La marque est donc une fiction qui marche, et qui marche si bien qu’on ne sait pas jamais vraiment où et quand elle s’arrête. Pour le showroom présenté au Palais de Tokyo l’année dernière, Sarah Nefissa Belhadjali -Powerpoint à l’appui, s’il vous plaît – avait formé ses artistes à vendre et assurer la médiation des vêtements exposés, vêtements que les visiteurs pouvaient essayer. Le projet est en évolution constante. Il institue de nouveaux rapports intimes entre l’oeuvre d’art et le corps du visiteur et renouvelle les modalités de présentation des oeuvres d’art. Nouvelle Collection Paris, c’est donc l’art qui orchestre lui-même sa sortie du champ de l’art, se préservant de toute instrumentalisation externe et restant aux manettes.
La colonisation par l’art des formes du travail
A la Panacée à Montpellier le week-end dernier, Nouvelle Collection Paris poussait encore plus loin la fiction. En plus d’un défilé avec les pièces de 39 artistes, la marque s’est offert les services d’ »artistes prestataires ». Parmi eux, l’artiste Kathryn Marshall incarnait le rôle de directrice des relations publiques et s’occupait du sort VIP, Zach Barouti était sound designer du défilé, Garush Melkonyan, directeur de casting et Louise Siffert orchestrait une séance de relaxation pour le staff de la marque « pour ne pas être stressé avant le défilé ». Tous ces gestes et activités qui rythment la vie d’une entreprise – ou presque – étaient prétexte à faire oeuvre. Nouvelle Collection Paris proposait même à ces VIP des goodie bags contenant un échantillon de parfum, de l’eau dynamisante, un t-shirt promotionnel…Le tout bien évidemment floqué « Nouvelle Collection Paris ». La colonisation par l’art des formes du travail a commencé. Jusqu’où ?
Photo : Jehane Mahmoud
Pour le moment, les oeuvres ne sont pas commercialisables mais cela ne saurait sans doute tarder. Sarah Nefissa Belhadjali, avec l’accord des artistes, n’exclue pas de collaborer avec de « vraies » marques et prévoit d’organiser une vente en reversant les bénéfices aux artistes. Car, au-delà de l’ambition artistique et collective du projet, Nouvelle Collection Paris c’est aussi et surtout l’émergence d’un nouveau modèle de subsistance pour les artistes. Un modèle où ils seraient maître de leur destin ? Une utopie ? Celle de l’artiste-entrepreneur ?!
Le site de Nouvelle Collection Paris. Suivez les sur Facebook et Instagram.
Artistes participants / Collection Croisière 2018 : Alice Allenet, Chadine Amghar et Maïlys Lamotte-Paulet, Alexandre Arbouin et Garance Poupon-Joyeux, Karina Bisch, Kamil Bouzoubaa-Grivel et Jane Eglington, Jade Boyeldieu d’Auvigny, Kim Bradford, Ava Cantharis, Timothée Chalazonitis, Lydie Chamaret, Kevin Desbouis, Juliette Le Dez, Inès Dobelle, Rachel Fäth, Clara Flores, Charline Gdalia, Tania Gheerbrant et Mahalia Kohnke-Jehl, Marie Glaize, Pierre Graizon, Chloé Poitevin et Marie Grihon, Olivia Hespel-Obregon, Dounia Ismail, Yeojin Kim, Paul Lahana, Romain Moncet, Lulù Nuti, Nefeli Papadimouli, Miriam Poletti, Camille Raimbault, Guillaume Martin-Taton, Victoire Thiérrée, Victor Vialles, Mélanie Villemot, Chloé Viton, Camille Correas. Artistes prestataires : Zach Barouti, Sarah Nefissa Belhadjali, Kathryn Marshall, Garush Melkonyan, Louise Siffert, Joana Zimmermann, Charlotte Nicoli.
Photo : Allia El Fani pour Nouvelle Collection.
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