A la galerie Allen, mais aussi dans tout Paris, David Horvitz défait les réflexes utilitaristes et relance dérives psychogéographiques et déterritorialisation.
Accrochée à la vitre d’une galerie parisienne, une carte topographique percée de trous forme un motif dont le sens échappe aux non-initiés. L’indication d’un parcours crypté à travers la ville ? Pour en avoir le cœur net, il faudrait aller interroger les quelques couche-tard encore debout par une nuit de la fin mars, qui racontent avoir vu passer une curieuse procession.
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S’éclairant à la bougie, les individus marchaient d’un pas assuré quand, soudain, l’un d’eux s’est détaché du groupe et a commencé à escalader un lampadaire. Quelques instants plus tard, l’obscurité est tombée et les a enveloppés. Effectivement, l’une et l’autre de ces occurrences sont bel et bien liées, et convergent vers la pièce centrale de l’exposition de David Horvitz à la galerie Allen.
L’artiste angeleno semble descendre en droite ligne des situationnistes
Intitulée Eridanus, “Eridan” en français, l’œuvre tire son nom d’une constellation de trois cents étoiles dont la disposition rappelle la ligne serpentine d’un cours d’eau. Cette forme est celle que l’artiste surimpose sur la carte de Paris, indiquant par chaque perforation l’endroit où il se sera rendu, en compagnie de son galeriste et de quelques autres, afin d’éteindre la lumière de l’éclairage public venant à s’y trouver – le dernier point correspondant à la galerie, dont les néons ont eux aussi été sabotés.
“David Horvitz a eu l’idée du projet en lisant les témoignages des habitants de Paris qui, lorsque les premiers éclairages publics ont été installés, se plaignaient de ne plus pouvoir apercevoir les étoiles. Le choix de s’orienter selon une constellation fluviale est ensuite venu naturellement en observant comment Paris est construite autour de deux fleuves”, raconte son galeriste Joseph Allen.
A 35 ans, l’artiste angeleno qui voulait éteindre la Ville lumière semble descendre en droite ligne des situationnistes, dont les dérives psychogéographiques visaient elles aussi à rompre avec l’utilitarisme ordinaire. L’espace mais aussi le temps subissent le même traitement, visant à les dépêtrer des différents systèmes de mesure standardisés qui les retiennent captifs.
Logique processuelle et viralité
A la galerie Allen, les œuvres présentées sont indicielles, comme pour réorienter notre soif de substance vers la vie brute qui grouille au-dehors. Outre les huit clés différentes nécessaires à l’extinction des feux de la capitale, obtenues de manière semi-légale – “les posséder est autorisé, les utiliser un peu moins”, s’empressera de préciser le galeriste –, et un diaporama de photos prises avant et après l’opération, on y découvre l’œuvre Untitled (Watercolours).
Sur un présentoir sont exposées les cartes postales que l’artiste a dessinées à l’aquarelle, adressées à la galerie, puis déposées dans la rue, laissant la responsabilité au hasard et aux âmes bien intentionnées de faire en sorte qu’elles arrivent à bon port.
A la logique processuelle, qui rappelle celle d’un On Kawara, David Horvitz adjoint la viralité qui permet d’en décupler les effets. Car longtemps avant que le monde de l’art n’ouvre les yeux sur sa pratique, celui-ci a fait du web son terrain d’expérimentation.
Avec Mood Disorder, il télécharge ainsi une photo de lui la tête entre les mains sur la page Wikipédia “Troubles de l’humeur”. Sans signes distinctifs prononcés, correspondant en tous points à la représentation typique de la dépression, la photo fait le tour d’internet et sert à illustrer divers articles de blogs et de journaux se rapportant de près ou de loin au sujet. Sans dieu, ni maître, ni Google Maps, David Horvitz module la réalité autour de ses fictions intimes pour en orchestrer la circulation fluide, déterritorialisée et semi-légale.
Eridanus jusqu’au 22 avril à la galerie Allen, Paris IXe
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