Musicien, chanteur et écrivain, Wilfried N’Sondé est né au Congo Brazzaville et a grandi en France avant de partir vivre à Berlin en 1989, après la chute du Mur. Après son premier roman en 1997, « Le Cœur des enfants-léopards », qui a reçu le prix des Cinq continents de la francophonie et le prix Senghor de la création littéraire, il a publié « Le Silence des esprits ». Régulièrement de passage à Paris où il va bientôt enregistrer un disque, Wilfried N’Sondé était au Tarmac pour la création du spectacle adapté de son roman par Dieudonné et Criss Niangouna. Rencontre.
Vous êtes à la fois auteur et musicien. Avez-vous toujours mené de front ces deux activités ?
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Wilfried N’Sondé : J’ai d’abord écrit des poèmes à l’adolescence et je jouais aussi de la guitare. Alors, j’ai mis mes textes en musique et j’ai continué comme ça pendant 20 ans avant de me mettre à la prose. En ce moment, je prépare un disque avec mon frère qu’on va enregistrer à Paris. Après avoir longtemps pratiqué l’afro-punk, on est revenu aux fondamentaux, entre le slam poetry et la chanson à textes !
Congolais d’origine, vous avez grandi en France, dans la banlieue sud, avant de partir vivre à Berlin. Pourquoi cette destination ?
Je suis parti en 1989, juste après la chute du Mur. J’étais alors étudiant à la Sorbonne et je me suis donné l’illusion de vivre l’Histoire en direct… Mais l’Histoire ne se fait pas là où on pense qu’elle se joue et la troisième voie que le monde entier attendait n’est pas venue. Au contraire, toute l’Europe de l’Est est tombée dans uns spirale libérale et tous les mouvements d’extrême droite se sont développés. Mais j’ai découvert Berlin, une ville spéciale où se pratique la culture de la tolérance, le non-conformisme et où l’on trouve une vraie qualité de vie. Et puis, ça ne coûtait pas très cher d’y vivre. C’est une capitale qui a des airs de ville de province et propose une offre culturelle impressionnante. Pendant 15 ans, j’étais travailleur social, ce qui ne veut pas dire éducateur. Je travaillais pour une association dans un quartier pauvre avec un fort taux de population issue de l’immigration, avec une double mission : la prévention des addictions et le lien social. Mais depuis fin 2009, je me consacre entièrement à mes activités littéraires et musicales.
Est-ce votre parcours ou votre expérience de travailleur social qui a inspiré votre premier roman, Le cœur des enfants-léopards ?
Quand on écrit un roman, on mobilise beaucoup de ressources émotionnelles, intellectuelles et beaucoup d’éléments inconscients ressortent. Je voulais m’inscrire dans la tradition romantique dans un cadre urbain et pauvre.
A travers le monologue du personnage principal, vous faites aussi le portrait d’une génération.
Oui, je parle de ma génération, celle d’immigrés qui étaient déjà là il y a 25 ans et dont on ne faisait pas tout un plat à l’époque. On existait quand même, sauf qu’on n’en parlait pas. Ce roman fait part d’expériences au pluriel et pour moi, il s’agit de sensibiliser sur tous ces mots inadaptés pour dire ce qu’a été ma jeunesse. L’intégration, par exemple. Le processus de rencontre entre des gens, des cultures, n’a pas pour but d’obtenir que l’on soit comme les autres. C’est ensemble qu’on construit du nouveau. C’est une folie incroyable ce mot d’intégration, car ça ne se passe pas comme ça. La culture n’est pas un mouvement figé. Le roman parle aussi de la question de l’origine : celle d’un être humain n’est pas un lieu. C’est une pure construction mentale. Que dois-je répondre à la question : d’où viens-tu ? Le Congo, la France, Berlin, la Seine-et-Marne, Brazzaville ? Non. Je viens du ventre de ma mère. On n’a pas de racines, on n’est pas des plantes. Le comble, c’est que l’histoire de l’homo sapiens n’est qu’une histoire d’errance. Plutôt que d’origine, j’aime mieux parler d’héritage, parce qu’un héritage, on peut l’accepter ou le refuser.
Ce n’est sans doute pas uniquement pour une question de suspens qu’on découvre à la fin du roman la raison de la garde à vue du personnage ?
J’avais imaginé l’autopsie d’un fait-divers, car la perception sur l’individu y est totalement biaisée. On apprend par exemple qu’un jeune noir a tué un policier et on associe délinquance et immigration. Dans le roman, je fais l’inverse : on apprend à le connaître, on découvre ses attaches affectives, quotidiennes, familiales, amoureuses. C’est tout ça qui fait ce qu’il est, c’est tout ce qu’on apprend de lui avant. Si j’inverse le récit, la perception n’est plus la même. Là, on s’attache à lui et finalement, en deux pages, il devient un monstre. Mais ces quelques minutes de sa vie où ça bascule, c’est pas lui ; lui, c’est le reste.
Avez-vous suivi le travail de création et d’adaptation de votre roman par Dieudonné Niangouna et son frère Criss ?
J’ai vu un chantier à Brazzaville en 2008. On s’est rencontré et j’ai répondu à leurs questions, mais je voulais que ce soit leur adaptation. Alors, j’ai découvert le travail en allant voir le spectacle. J’aime l’idée que le public doive enjamber Criss, allongé dans la salle, avant que la représentation commence, l’immédiateté de ce geste : on est déjà en alerte, mais on ne sait pas de quoi. Pareil pour son banc, avec ses barreaux de prison : c’est lui, c’est son propre cachot. Donc, au début, il ressuscite et ensuite j’ai adoré qu’il transporte son banc, cet objet dont il ne se sépare jamais et qu’il enlace. Ce cachot, c’est toute la pièce.
Après avoir vécu l’illusion de l’Histoire en direct à Berlin en 1989, comment voyez-vous les révolutions en cascade dans le monde arabe ?
Il faut être patient et observer, sur une décennie, au moins. Mais ce qui est nouveau et intéressant, c’est ce que la population a osé et le fait, qu’à part la Lybie, les pouvoirs en place n’ont pas opposé de réponses sanglantes. Ça, c’est un fait nouveau, surtout sur le continent africain. Mais il faut cesser d’être dans la science politique de l’immédiateté. A Berlin, dans les années 90, des deux côtés du Mur, les gens ne se côtoyaient pas. Et l’on ne s’attendait pas à la montée de l’extrême droite dans tous les pays de l’Est. C’est la loi du fric, la démocratie arrive avec ses valises, l’argent roi de la drogue et du sexe, alors ça peut vite se barrer en vrille…
Votre deuxième roman, Le silence des esprits, se déroule également en France.
C’est l’histoire d’une rencontre entre un jeune clandestin et une femme plus âgée, aide-soignante à la Pitié. Deux détresses pour deux parcours différents. Lui a participé comme enfant soldat à une guerre civile dans un pays africain que je ne nomme pas. Ils parlent de solitude urbaine mais c’est aussi l’occasion pour moi de parler de la guerre civile en général, plus que des enfants soldats. Les enfants soldats, ça a à voir avec toutes les guerres, de la Seconde Guerre mondiale à celles d’aujourd’hui. La guerre civile, c’est une machine qui déshumanise tout le monde, dresse les gens contre les gens, où la frontière entre victime et bourreau est très mince. On peut être victime le matin et bourreau le soir. Enfin, il s’agit de donner une humanité aux clandestins, ces gens qui ne demandent qu’à vivre, et de cesser de crier au complot. C’est scandaleux de faire des plus démunis le pire de nos fléaux. C’est monstrueux, tout comme le traitement qu’on leur fait subir.
Comment réagissez-vous au sondage donnant 23% d’intentions de vote à Marine Le Pen ?
Tant que les partis classiques ne se mettront pas à penser et à développer des idées et des projets pour les générations à venir, le Front National aura l’avantage car il a un discours facile à comprendre et que les autres partis n’ont pas. La société française a énormément changé depuis les années 60 et l’on se doit d’avoir une parole là-dessus. C’est ce que fait l’extrême droite. Le seul qui ait parlé dans ses discours des « Français de toutes races et de toutes conditions », c’est Jean-Marie Le Pen. Les autres ne l’ont tout simplement pas encore dit. Il y a un manque de courage politique à ne pas reconnaître que sont Français aujourd’hui des gens venant d’Asie et d’Afrique. Si personne ne conteste ce silence, c’est peut-être que personne n’en veut de ces « Français ». J’en ai marre d’entendre qu’il faut se battre contre le racisme et la xénophobie. Je veux entendre pour quoi lutter, pas contre quoi…
Propos recueillis par Fabienne Arvers
Le Coeur des enfants léopard et Le Silence des esprits sont publiés en poche chez Acte Sud.
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