Objet dansant non identifié, « Gala » de Jérôme Bel mêle amateurs et professionnels pour une ode à la danse et à la différence.
Jérôme Bel occupe aujourd’hui une place à part sur la scène internationale de la danse. Au point d’être un des artistes français les plus invités – et parfois copiés – du milieu. On a pu voir son travail aussi bien dans des musées que des institutions comme l’Opéra de Paris – qui le reçoit à nouveau cette saison. Le Festival d’Automne l’a maintes fois invité ces dernières années avec The Show Must Go on, Cédric Andrieux, Disabled Theater ou la reprise du spectacle Jérôme Bel.
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Plus que tout autre, Bel s’intéresse aux processus de représentation et de
fabrication liés à la scène. Gala invite ainsi à repenser notre rapport à l’autre en tant que danseur, qu’il soit amateur ou professionnel. Derrière le désir de danser, Jérôme Bel entend trouver – ou essayer de trouver – des réponses inédites. Gala sera également décliné en ballet – des extraits de la pièce –, en diaporama, sans oublier 1000, une performance conçue pour des espaces non-théâtraux comme le musée d’Art moderne de la Ville de Paris ou le Louvre.
Tu as participé à des ateliers danse et voix en compagnie de Jeanne Balibar. Cela a déclenché beaucoup de choses chez toi. A partir de quand et pourquoi Gala est-il devenu une nécessité ?
Jérôme Bel – Gala est le résultat d’un travail mené à l’initiative de Jeanne qui m’avait proposé d’animer des ateliers avec elle à Clichy-sous-Bois et à
Montfermeil, en Seine-Saint-Denis. Nous avons travaillé avec des groupes
d’amateurs, composés d’individus très divers. La difficulté pour moi était
de trouver, malgré leurs différences, un dispositif où tous pourraient danser
ensemble sans se départir de leurs singularités. Miraculeusement, j’ai
avancé une formule simple permettant à chacun et à chacune de danser leurs propres danses tous ensemble. C’est à ce moment-là que j’ai envisagé de produire un spectacle à partir de ce travail expérimental. Gala s’est imposé comme titre dans le sens où le spectacle est une sorte de célébration de l’acte de danser ou, plutôt, de sa tentative. Comme dans ces galas de fin d’année, premiers spectacles de danse auxquels j’ai assisté enfant, et que je fréquente à nouveau du fait de ma paternité.
Outre les danseurs amateurs, tu as choisi des professionnels. As-tu donné des directions différentes aux uns et aux autres – si direction il y a ?
Les professionnels se sont ajoutés après. En effet, en parlant avec les
différents responsables culturels susceptibles de produire ce spectacle
dans leurs théâtres ou leurs festivals, beaucoup ont immédiatement qualifié
le projet de “social”, ce qui m’a fortement contrarié. Ce n’est pas parce que je travaillais avec des amateurs de Seine-Saint-Denis que notre projet n’était pas artistique. Pour moi, il relevait de l’art et pas de l’action culturelle ou sociale. Je m’intéressais à ces personnes en tant que danseurs. Tout le travail a consisté à trouver leurs propres danses, danses que certains ne
trouvaient pas dignes d’être montrées, ce sur quoi je n’étais évidemment
pas d’accord. Bref, afin de contrer cette assignation “sociale”, j’ai décidé
d’inclure dans le groupe d’amateurs quelques professionnels, danseurs
et acteurs. De plus, comme l’enjeu de la pièce était de faire danser ensemble les individus les plus divers possible, je trouvais pertinent qu’il y ait aussi dans ce groupe des danseurs professionnels. Le projet devenait dès lors plus ambitieux puisque la diversité devenait encore plus grande. En fait, je me suis aperçu qu’aucune exclusion ne pouvait être tolérée dans ce projet. Je devais maintenir l’égalité entre toutes et tous. Je dirige les danseurs le moins possible ; les professionnels, hélas, ont un peu plus de mal, aliénés qu’ils sont par leurs apprentissages et leurs habitudes. J’essaie cependant de les faire s’émanciper de leurs automatismes.
Tu dis que Gala est ta pièce la plus dansée. Dans quel sens ?
C’est la première fois dans mon travail que les danseurs dansent du début à la fin du spectacle. Cela me ravit !
T’es-tu interdit quelque chose dans cette création – par rapport à la virtuosité par exemple ?
Je ne m’interdis jamais rien dans le travail. Plutôt mourir ! Comme je l’ai déjà dit, j’ai adjoint la présence de danseurs dont certains sont très virtuoses. La virtuosité est acceptée, et je dirais même qu’elle prend une dimension nouvelle. La virtuosité devient aussi signifiante dans ce spectacle que la maladresse.
Tu dis que la danse sert à dire quelque chose du monde. Quoi ? Et à qui ?
Il me semble que la danse d’un individu révèle beaucoup de lui-même, surtout si ce danseur ou cette danseuse n’ont pas été formatés par
l’enseignement de la danse qui est une vraie calamité. La danse, activité peu répandue à notre époque, permet une expérience où la fragilité est encore possible, où on perd le contrôle, où on ne maîtrise pas tout. C’est grâce à cet état incertain que des choses indicibles, refoulées, inavouées, informulables peuvent apparaître et finalement être exprimées et, dans le cas d’un spectacle, partagées. De plus, la danse révèle la culture de l’individu dansant, sa culture originelle ou construite, ses choix culturels, ce à quoi elle, ou il, s’identifie, ce à quoi dans le régime des représentations dansées elle, ou il, se reconnaît, ou mieux se découvre, ou encore mieux s’invente. Je crois que ce qui fait sens pour moi dans ce travail, c’est l’imaginaire de la danse plus que son exécution, que chaque danse est
un rapport au monde, à l’histoire, à la culture, à soi-même et aux autres. A travers les modèles dansés inscrits dans la culture, chaque idiosyncrasie est l’apparition inespérée d’une nouvelle danse, d’un rapport à soi et au monde inouï.
Tu as présenté une étape de travail ouverte au public à Aubervilliers. A la fin, tu demandais leur avis aux spectateurs. Dans quel but ?
A un certain moment dans le processus de construction d’un spectacle, je perds l’essentiel, j’oublie les faits qui ont provoqué certaines opérations artistiques, j’ai besoin de les retrouver et aussi de me les faire confirmer, par les regards des spectateurs qui doivent à leur tour en faire l’expérience. En les faisant parler du spectacle, ils me décrivent ce que j’ai moi-même vécu pendant les répétitions plusieurs mois voire des années avant (cela fait trois ans que je travaille sur ce projet) et que je ne me rappelle plus. J’ai
aussi besoin de voir si les spectateurs comprennent les idées que je développe durant le spectacle. S’ils ne les comprennent pas, c’est que je me suis mal exprimé, et c’est en parlant avec eux que je peux réaliser qu’il leur manque tel ou tel élément. Dans ce cas-là, il faut que je reprenne ma copie. J’ai proposé à Marie-José Malis, la directrice du Théâtre de la Commune – qui nous a accueilli merveilleusement à Aubervilliers – d’intituler ces soirées “Séances de travail avec les spectateurs”. Les spectateurs sont essentiels à ma pratique artistique. Ils sont le but. Tout converge vers eux. Ils vont être le récipiendaire de toutes les forces et les énergies que j’aurai peut-être réussi à faire se lever pour les atteindre, afin de les transformer, de leur prouver qu’il y a d’autres possibilités d’existence, que l’art est là pour trouver des solutions à l’insatisfaction de nos vies et à l’injustice de la société, aux inégalités qui annihilent nos possibilités de joies.
Tu vas travailler avec l’Opéra de Paris prochainement. Est-ce le grand écart avec ton spectacle Gala ou la poursuite de la réflexion à l’oeuvre sur le médium de la danse ?
Pour la pièce pour le Ballet de l’Opéra de Paris, j’ai simplement demandé aux ballerines (et aux ballerins !) de choisir comme partenaire une personne avec qui ils, ou elles, ne pourraient jamais danser sur la scène de l’Opéra.
Tu dis “je suis à ma place” au théâtre. Quelle est cette place ?
Celle du voyeur. La meilleure place au théâtre, c’est celle du spectateur. Seul le théâtre me permet de mieux voir afin de mieux éprouver et penser. La force du dispositif théâtral, c’est cet équilibre entre expérience sensitive et intelligible. C’est le flux resserré entre ces deux pôles qui est si productif.
Propos recueillis par Philippe Noisette
Festival d’Automne à Paris tél. 01 53 45 17 17
Gala, conception et mise en scène de Jérôme Bel, du 17 au 20 septembre à Nanterre-Amandiers, centre dramatique national, tél. 01 46 14 70 00,
Du 1er au 3 octobre à La Commune-CDN d’Aubervilliers, tél. 01 48 33 16 16.
le 13 octobre à L’apostrophe-Théâtre des Louvrais, Pontoise, tél. 01 34 20 14 14.
Du 30 novembre au 2 décembre au Théâtre de la Ville, Paris IVe, tél. 01 42 74 22 77.
Le 5 décembre au Théâtre Louis-Aragon, Tremblay-en-France, tél. 01 49 63 70 58,
Ballet, extraits de Gala, le 10 décembre au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe, tél. 01 53 67 40 00
Diaporama, extraits de Gala, du 10 décembre au 6 janvier au Palais de Tokyo, Paris XVIe, tél. 01 81 97 35 88.
1000, performance conçue pour les espaces non-théâtraux, le 15 octobre au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe, tél. 01 53 67 40 00,
le 23 octobre au musée du Louvre (dans le cadre de la Fiac), Paris Ier, tél. 01 40 20 50 0,
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