A Saint-Etienne, une exposition se penche pour la première fois sur le cœur performatif et théâtral de l’Arte Povera. Un versant de l’histoire de l’art méconnu où plus que l’œuvre finie c’est le processus de création qui domine et célèbre la collaboration.
Un demi-siècle après son émergence, l’Arte Povera s’est coulé dans l’écosystème artistique. De Giuseppe Penone au palais d’Iena à Paris durant la FIAC à Jannis Kounellis à la Fondation Prada durant la Biennale de Venise, le mouvement italien qui a vu le jour à la fin des années 1960 est une valeur sûre. Ces œuvres ont la sobriété originelle qui sied au mystère de l’art, une sorte d’aura primitive que sublime le contexte institutionnel qui les enveloppe et en conditionne la perception autant que l’apparition.
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Or, tout cela repose sur un immense contresens, ainsi que nous l’apprend l’exposition Entrare Nell’Opera au musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole (MAMC+). Pour comprendre l’Arte Povera tel qu’il émerge, et non tel qu’il est entré dans l’histoire, ou tel qu’il survit par les expositions d’artistes sortis de l’élan collaboratif du mouvement, il faut l’extirper du musée pour le remettre dans la rue. Réveiller l’éternité pétrifiée des sanctuaires de l’art en plongeant dans le contexte social et politique des années 1960. Déboulonner le fétichisme de l’œuvre finie au profit du processus de création. Oublier les grands noms et célébrer la collaboration. Pour le dire en un mot : « entrer dans l’œuvre« , plutôt que de seulement la contempler.
Avant d’être un mouvement, l’Arte Povera fut une attitude
A travers une centaine d’œuvres et le triple d’archives photographiques et filmiques, le parcours de l’exposition nous y invite. La première à se pencher en profondeur sur le cœur performatif du mouvement, Entrare Nell’Opera fait sortir de l’ombre un corpus méconnu, rassemblé sous la houlette de deux institutions, le MAMC + et le Kunstmuseum du Liechtenstein, et de cinq commissaires, Christiane Meyer-Stoll, Nike Bätzner, Maddalena Disch et Valentina Pero pour le premier volet au Liechtenstein, et Alexandre Quoi pour le second à Saint-Etienne.
Avant d’être un mouvement, l’Arte Povera fut une attitude. A Rome et à Turin, un certain nombre d’artistes commencent à rejeter le fétichisme ordinaire de l’œuvre et la valeur marchande des objets. La défiance qu’ils nourrissent envers la société de consommation américaine ne saurait justifier, en tant qu’artiste, de continuer à alimenter les sanctuaires muséaux de toujours plus d’objets.
Certes, une première étape sera d’utiliser des matériaux de récupération, mais surtout l’accent sera mis sur le processus de fabrication et d’activation de ces formes qui, en vérité, ne font que rendre visibles les expériences spatio-temporelles et collaboratives dont elles seront le support, le point de départ ou le prétexte – dans le catalogue, l’essai de Nike Bätzner parle de « sculptures performatives ».
Une performance réunissant vingt-cinq personnes masquées
Le Musée de Saint-Etienne retrace cette part occultée, victime de son ingestion par le système même qu’elle rejetait. Dès le mur d’entrée, les quatorze protagonistes de l’aventure de l’Arte Povera posent pour un portrait, souvent en train d’activer une œuvre ou de se livrer à une action collective. Plus encore que l’autobiographie émerge la question de l’humain, que les artistes remettront au centre d’un système de mesure subjectif et transitoire, clef de voûte précaire d’un monde soumis à la rationalisation rampante du complexe capitalo-industriel.
L’une des salles les plus surprenantes, et la vraie découverte du parcours, est dédiée au Piper Pluriclub à Turin. Si l’on imagine sans peine l’Arte Povera dans la rue, c’est pourtant cette discothèque, conçue dans le style du design radical italien, qui entre 1966 et 1969 abritera les toutes premières expérimentations du mouvement. Alighiero Boetti, Annemarie Sauzeau Boetti et Piero Gilardi y organisent une Beat Fashion Parade (où apparaît la fameuse minirobe en plastique, à l’origine remplie d’eau et de poissons rouges vivants), Michelangelo Pistoletto compose une performance réunissant vingt-cinq personnes masquées activant des plaques de métal réfléchissantes, tandis que Marisa Merz y présente ses Sculptures vivantes.
Entrare Nell’Opera dialogue avec d’autres tentatives récentes de réactiver la fougue subversive de certains mouvements d’avant-garde, à l’instar de l’exposition A Different Way to Move : minimalismes, New York, 1960-1980 au Carré d’Art à Nîmes en 2017, qui, de son côté, relisait l’art minimal par le prisme du corps et de la danse – en l’occurrence, la postmodern dance des années 1960. A mesure que se pluralise l’écriture des récits de l’histoire de l’art et qu’éclate la relativité de ses systèmes de monstration, la vivacité de ces grandes aventures collectives se révèle intacte et la connaissance que nous pensions en avoir, lacunaire.
Entrare Nell’Opera – Entrer dans l’œuvre/actions et processus dans l’Arte Povera Jusqu’au 3 mai, musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole (MAMC +)
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