Cent compagnies de marionnettistes venues des cinq continents ré-enchantent le monde pour la vingtième édition de ce festival qui a lieu dans les Ardennes.
« La gravité, c’est ce que nous partageons au quotidien. Nous autres les humains, mais aussi tout objet vivant ou inerte à la surface de notre planète. Face aux lois de la gravitation, qui nous rappellent que nous sommes une toute petite part de l’univers, nous sommes équivalents aux choses. Nous sommes des choses graves ! »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette théorie de la gravité esquissée par Renaud Herbin alors qu’il était encore en création de son spectacle Milieu, présenté ici au Festival Mondial de la Marionnette de Charleville-Mézières (Ardennes), pourrait aisément convenir à une définition plus vaste du théâtre dit de marionnettes. Qu’il soit confit dans une tradition et un folklore joliment désuets, qu’il fraye avec les technologies dites nouvelles, qu’il invente, déstabilise ou rassure, ce théâtre-là dans toutes ses diversités est, si l’on se fie à la programmation du festival In, furieusement vivant et inscrit dans le monde d’aujourd’hui.
Invitation infinie à la rêverie
Une fois la rue traversée, laissée à l’indigence esthétique et la mièvrerie populiste par opportunisme de politique locale, il faut bien faire plaisir au peuple ma bonne dame, la biennale déploie sous toutes ses formes la permanence de l’importance de l’art parmi nous, non comme opium mais comme invitation à la liberté de penser. « Nous sommes des choses graves », dit Renaud Herbin. Ainsi, dans Milieu, l’ancien élève de l’école de Charleville-Mézières, directeur aujourd’hui du TJP, Centre Dramatique National de Strasbourg –Grand Est, convoque Samuel Beckett et son Dépeupleur en quête d’une issue située à l’endroit le plus inaccessible…
Désormais précédé d’une autre création, Alentour, plus qu’un diptyque, compose un tout avec Milieu. Dans ce spectacle-installation, le public est invité à vagabonder autour d’une structure tubulaire, à l’intérieur de laquelle la marionnette et le marionnettiste sont suspendus au fil du temps, cherchant l’issue, entourés, alentour, de matières nobles (le bois, la pierre, l’eau, l’air…). Comme toujours, mais cette fois-ci tout particulièrement, l’art de Renaud Herbin est déroutant d’immersion, saisissant dans son apparente simplicité. Une invitation infinie à la rêverie. Il crée un espace-temps dont le milieu est la matière hors du temps des images, des commentaires et des bruits nauséeux de la rue.
“Au point de quiétude du monde qui tournoie”
L’artiste français le plus inventif dans son domaine présente aussi en compagnie de la chorégraphe Julie Nioche At the still point of the turning world, un voyage aux confins du corps et de la matière inspiré par T. S. Eliot, guidé par une autre quête : le suspend. Au cœur du plateau, une immense structure de fils et de sacs de sable suspendus évoque les lieux de stockage des marionnettes à fils, protégées et emballées dans du textile. Autant d’objets suspendus dans l’espace et le temps attendant de danser à nouveau. Vivre peut-être.
Ces limbes peuplés de marionnettes assoupies reçoivent la visite d’un Orphée et d’une Ariane, les bordant d’abord dans un premier mouvement, faisant corps ensuite avec leur multitude jusqu’à leur offrir une vie nouvelle, loin de leur état premier, s’inventant autre le temps d’un chant aux accords de lyre celtique de l’auteure compositrice et performeuse Sir Alice. Renaud Herbin ouvre et clôture ce moment de délice « au point de quiétude du monde qui tournoie », un voyage métaphorique au cœur d’une expérience sensorielle, une rêverie en mouvement ballottée, guidée par les corps, les sons, les objets et les inévitables projections bigarrées qui s’ouvrent à l’imaginaire.
Aussi emblématique qu’il soit de la vitalité de l’art de la marionnette, le geste de Renaud Herbin, si l’on en croit la programmation de cette vingtième biennale, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Ainsi des inquiétudes politiques contées sur un air d’art brut des Brésiliens de Macunaïma Gourmet aux questionnements humanistes de la compagnie belge des Karyatides au travers de l’œuvre de Mary Shelley, Frankenstein, cette vingtième édition du Festival Mondial de Marionnettes dit le monde de toutes les manières et dans toute sa diversité.
Festival Mondial de Marionnettes de Charleville-Mézières, du 20 au 29 septembre à Charleville-Mézières.
Milieu & Alentour, de Renaud Herbin, au festival Musica de Strasbourg, les 30 septembre, 1er et 2 octobre.
{"type":"Banniere-Basse"}