Lauréat du prix Audi talents Awards 2015, Bertrand Dezoteux dévoile dans plusieurs lieux d’exposition son nouveau et étonnant projet: En attendant Mars. L’artiste réinvente une expérience de simulation spatiale en proposant un univers alternatif hyper poétique.
En attendant Mars s’inspire d’une expérience scientifique russe « Mars 500 » qui s’est déroulée en 2010 et 2011 : au cours de ce voyage immobile, six hommes sont restés enfermés pendant 520 jours afin de simuler les conditions de vie et d’enfermement d’une expédition spatiale. Bertrand Dezoteux a reconstitué cette étrange expédition dans un film, du même nom que l’exposition, dans lequel il met en scène des maquettes et des marionnettes qu’il a construites dans son atelier. Habitué de la 3D (on se souvient sa surprenante vidéo Super-Règne à l’occasion de l’exposition Le Rêve des Formes au Palais de Tokyo), Bertrand Dezoteux innove avec un projet où le réel et la science fiction se mêlent dans un univers poético-cosmique, et on en redemande.
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L’exposition se déroule jusqu’au 23 décembre au centre d’art niçois La Station (mais aussi à l’École d’art de Bayonne en janvier, aux Abattoirs de Toulouse durant le mois d’avril et enfin à la Galerie Audi Talents du 12 avril au 30 mai à l’occasion de l’exposition collective 10 ans Audi talents awards.)
On sent que l’imaginaire de la science-fiction est une de tes sources d’inspiration, qu’est-ce qui te fascine dans la SF ?
Je suis plus fasciné par la littérature de science-fiction que par les films. Je lis Ursula Le Guin et Christopher Priest en ce moment. La SF, c’est pour moi plus un outil qu’une imagerie, elle me permet d’appréhender le réel et d’imaginer des alternatives à partir de situations que j’observe. Elle me permet d’imaginer d’autres mondes possibles et de faire de la spéculation sur ce qu’est la réalité, c’est en ça que je la trouve fascinante. Dans Mars 500 tout l’imaginaire de la science-fiction vient traverser cette expérience : il y a déjà quelque chose de virtuel qui se confond avec les représentations du voyage spatial telles qu’on peut les voir dans la littérature et dans le cinéma. Cet imaginaire SF déjà présent en creux dans l’expérience posait les bases d’un autre monde possible que j’ai essayé de développer dans mon projet En attendant Mars.
Tes marionnettes ont des allures d’anti-héros, est-ce que tu cherches à ironiser la dimension héroïque propre à la sf?
Ce qui me plaisait dans l’expérience Mars 500 c’est qu’elle prenait justement à rebours toute l’imagerie dominante de la SF, tout le truc du héros qui va sauver la planète (rires). Mars 500 c’est au contraire des héros ordinaires, des hommes qui pourraient être toi ou moi. Les gens dans Mars 500 véhiculent une idée de la normalité, ce sont des militaires, des scientifiques ou des techniciens qui ont été sélectionnés pour leur capacité à se dominer et à s’adapter. Cette espèce de normalité intégrale produit quelque chose de gênant : imaginer des gens qui dominent leurs pulsions et qui n’ont pas de sexualité pendant 1 an et demi c’est finalement assez troublant, non (rires) ? Ce qui me plaisait aussi dans l’expérience c’était son aspect dérisoire : ces gens qui n’iront jamais dans l’espace et qui vont sacrifier 1 an et demi de leur vie pour un vieux rêve interplanétaire…
Pourquoi le choix du film d’animation t’a-t-il semblé judicieux pour retranscrire cette expérience?
Pour ce projet j’avais envie de sortir de la 3D que j’utilise habituellement. Les habitants de la « cellule spatiale » bricolaient pour s’occuper et faisaient des petits cadeaux : je trouvais intéressant de reprendre cette démarche pour explorer la frontière entre les loisirs créatifs et l’art. En fait est-ce que l’art ce n’est pas aussi une manière d’attendre, d’occuper son temps ? Moi à leur place j’aurais essayé de structurer mon voyage en racontant une histoire, c’est pourquoi le film d’animation m’a semblé une réponse possible, une forme de récit que j’aurais pu faire si j’avais pris part à l’aventure.
Tu parles de découpage, on a même envie d’utiliser le terme « collage » notamment dans le montage de ton film En attendant Mars : c’est un procédé qui t’intéresse dans ton travail?
Oui, j’utilise beaucoup le collage : mon premier film, Roubaix 3000, était un collage de paroles de ma famille. J’avais fait rejouer ces paroles par des acteurs à Roubaix : c’était une manière de perdre la référence pour donner un autre sens au langage. J’ai l’impression que la science-fiction fonctionne un peu de la même façon: elle prend des éléments réels dont elle coupe le référent pour les projeter dans un monde à venir. En fait ce qui était compliqué dans Mars 500 c’était de raconter une vie très ennuyeuse, il n’y avait pas vraiment de dramaturgie, seulement la répétition des mêmes actions du quotidien. C’est là que j’ai entrepris de ne pas construire de scénario préétabli pour essayer de voir l’existence des habitants comme un motif, quelque chose d’horizontal qui n’ait pas de centre, un découpage de situations dans le temps.
Ça ne m’étonne pas ! (rires) Quand je parle de ce projet on me parle souvent de la télé-réalité et c’est vrai qu’il y a une mise en spectacle, un enfermement des habitants qui y fait tout de suite penser. Par contre dans la télé-réalité on choisit des personnalités qui vont rentrer en conflit pour faire du spectacle ; ce qui m’intéressait dans Mars 500 c’est qu’au contraire on a choisi des personnalités pour leur complémentarité et leur capacité à contourner les conflits. Mars 500 véhicule l’image d’une humanité pacifiée, c’est ce que je trouvais très nouveau par rapport aux formes de récit auxquelles on est habitués et qui mettent forcément en scène le conflit.
Est-ce que la vie des habitants de Mars 500 est si différente de la vie réelle?
D’une certaine façon la capsule de Mars 500 est un peu une réduction de nos mœurs, une mise sous cloche d’une certaine humanité 2010. Je me suis intéressé à la banalité des gestes quotidiens, à la répétition des activités : la vie quotidienne n’est pas très différente de celle des gens qui sont enfermés dans Mars 500 sauf que nous on peut sortir, boire des coups avec des potes (rires). Je trouve ça drôle d’imaginer qu’on est tous en train de faire une simulation de voyage.
Dans le contexte politique actuel où Trump menace la Corée du Nord avec l’artillerie lourde américaine, ton projet ne souligne-t-il pas le caractère grotesque et dérisoire des ambitions militaires et scientifiques humaines?
Il n’y a pas besoin de chercher très loin le grotesque (rires). Souvent la réalité dépasse de loin ce que peuvent imaginer les artistes ou les films : avant que Trump ne devienne président, si on avait écrit un scénario où une telle caricature arrivait au pouvoir, personne n’y aurait cru. Trump incarne un personnage qui est dans le spectaculaire pourtant ce qu’on aimerait voir c’est quand il met sa robe de chambre, quand il commande un whisky à la Maison Blanche tout en choisissant ses chaussettes (rires). Moi je rêverais de voir une heure de Trump dans sa chambre, ça serait génial et effrayant à la fois !
Est-ce que tu peux me parler de ton expérience au Fresnoy, c’est un formidable laboratoire de création et de production, qu’est-ce que ça t’a apporté?
Ça m’a appris à construire un projet, à gérer des moyens, à travailler avec des techniciens. Aux Beaux Arts on est beaucoup dans la débrouille et le bricolage tandis au Fresnoy on apprend à être dans la production, tout en gardant une grande liberté de travail. C’est une autre manière de travailler… Mais je continue quand même beaucoup à bricoler (rires) !
En attendant Mars, du 8 novembre au 23 décembre à La Station, Nice
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