Remplacer Godot par les barbares, il fallait oser. C’est ce qu’ont fait Camille Bernon et Simon Bourgade en adaptant le roman de l’auteur sud-africain de J. M. Coetzee pour le créer avec la troupe du Français.
Condamnant de toutes ses forces le règne de l’apartheid sous lequel il grandit, J. M. Coetzee réfutait le qualificatif d’auteur politique pour lui préférer celui de “bâtisseur d’histoires”. Prenant acte de la volonté de l’auteur sud-africain, Camille Bernon et Simon Bourgade proposent une adaptation et une mise en scène d’En attendant les barbares (1980) qui restituent son action dans un lieu et un temps indéfinis. Ou plutôt un temps immémorial : celui de la peur de l’Autre, de la volonté de conquête, d’asservissement, et l’usage immodéré de la violence, du meurtre et de la torture pour en venir à bout.
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L’insécurité qui guette la ville frontalière où se situe l’intrigue est largement fantasmée par l’Empire qui envoie le colonel Joll, membre de sa police politique (Stéphane Varupenne, glaçant de cruauté), pour mater, arrêter et torturer les indigènes accusé·es de fomenter une révolte. Face à lui, le Magistrat, vieillissant et vivant en paix avec les “barbares” (Didier Sandre, fragile rempart contre la barbarie impériale), a pris l’habitude d’enregistrer ses réflexions sur un dictaphone. Autant de pièces à conviction à l’heure de son arrestation.
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Une scénographie à deux niveaux de jeu
Autour d’eux, le désert. La petite communauté qui entoure le Magistrat – cuisinière, aide de camp, soldats – assiste, impuissante ou complice, à l’installation de la terreur. Elle s’incarne singulièrement à travers le personnage de la jeune barbare (Suliane Brahim, hiératique et solaire dans son entêtement à survivre malgré la torture et le meurtre de son père) et sa relation avec le Magistrat, violant toutes les règles pour la ramener chez elle, aux confins du désert.
Pour leur première création à la Comédie-Française, Camille Bernon et Simon Bourgade, jeunes metteur·euses en scène sorti·es du Conservatoire en 2015, ont croisé le classicisme d’une mise en scène s’amusant des deux niveaux de jeu qu’offre la scénographie – la façade du fort où la prison est surmontée d’un étage, laissant voir le bureau et la chambre du Magistrat – avec l’usage très contemporain d’une caméra projetant, en floutant les contours, le visage des personnages ou des fragments de leur corps sur le décor. Comme une allégorie de la mise en pièces de l’identité de chacun·e, broyée par le mécanisme de la terreur.
La première image du spectacle éclaire la pièce à la façon d’un tableau où se dressent le colonel Joll et le Magistrat. Immobiles, ils se toisent, dans une tension palpable qui éclate dès le début. Tout, après cela, viendra démontrer, implacablement, l’arbitraire de la violence et son impossible justification.
En attendant les barbares d’après J. M. Coetzee, adaptation et mise en scène Camille Bernon et Simon Bourgade, avec Stéphane Varupenne, Suliane Brahim, Didier Sandre, Christophe Montenez, jusqu’au 3 juillet, Comédie-Française, Théâtre du Vieux Colombier, Paris
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