Censé tomber dans les prochains jours, un décret du ministère de la Culture instaure un système à deux vitesses entre les écoles d’art nationales et régionales. A terme, le décret signerait l’arrêt de mort des structures régionales et porterait un coup fatal à l’égalité des chances.
Le 14 décembre dernier, le ministère de la Culture convoquait les écoles d’art à une réunion à Beaubourg. Au sommaire, la mise en place d’un décret découlant de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi « Création », promulguée en juillet dernier.
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Censé être publié à la fin du mois de janvier, le décret instaure un changement de statut pour les enseignants des écoles d’art : une refonte de leur grille de salaires, leur temps de travail et à terme leur titre. Le but ? Calquer leur statut sur celui de leurs homologues universitaires en leur conférant le grade d’enseignant-chercheur. Une réforme qui prolonge la mutation du paysage de l’enseignement artistique amorcée avec le processus de Bologne en 1999, puis prolongée avec la réforme licence-master-doctorat (LMD) en 2002, également appliquée aux écoles d’arts, et qui les propulsa d’emblée dans une optique de recherche.
Ecoles d’art nationales et écoles d’art territoriales : un système à deux vitesses
Une bonne nouvelle ? Loin s’en faut. Car là où le bât blesse, c’est que le décret ne s’applique qu’aux seules écoles d’art nationales, laissant de côté les écoles d’art régionales (également dites territoriales). Ce sont donc 34 écoles d’art sur 45 au total qui se retrouvent reléguées en seconde zone, entérinant un processus de mise à l’écart débuté en 2002. Conséquence de la réforme L-M-D, un précédent décret différenciait déjà les enseignant des écoles nationales et ceux des écoles régionales. Actuellement, le statut de ces derniers correspond à celui d’un enseignant du secondaire, et les missions de recherche qui leur sont confiées ne peuvent être que ponctuelles.
En cause, une méconnaissance indéniable des conséquences de la revalorisation, mais surtout un désengagement de l’Etat au niveau de l’enseignement supérieur artistique. Car si les écoles d’art nationales dépendent bien d’un financement public, les écoles d’art régionales sont quant à elles quasi exclusivement à la merci des collectivités territoriales. Créés en 2002, ces Etablissement publics de coopération culturelle (EPCC) associent plusieurs collectivités territoriales dans l’organisation et le financement d’équipements culturels de grande ampleur, parfois en y associant l’Etat mais sans que ce soit systématiquement le cas – dont les écoles d’art en région.
Enseignant à l’école d’art régionale de Caen-Cherbourg, Benjamin Hochart explique : « l’Etat est engagé à environ 10 % des financements des EPCC. Pour les écoles d’art régionales, l’Etat reste alors garant des lignes pédagogiques mais se cache derrière sa minorité pour ne pas être décideur. D’où la fermeture d’écoles, comme Perpignan, et le statut précaire de nombreuses autres, dont Angoulême ou Tourcoing, qui se retrouvent alors à la merci des élus locaux. On tremble que ne FN n’arrive en tête aux prochaines régionales, car ce serait à coup sûr signer leur arrêt de mort. »
Un divorce à l’absurdité pourtant avérée…
Pourtant, aucune raison d’excellence ne justifie la séparation des écoles. Nationales comme régionales, elles délivrent les même diplômes, recrutent les professeurs selon les mêmes grades et il n’est pas rare qu’un étudiant effectue son diplôme de troisième année dans l’une pour le terminer dans une autre, une circulation qui concerne tout autant le personnel lui-même.
Consciente de l’absurdité de la chose, l’ancienne ministre de la Culture Fleur Pèlerin s’était engagée à réparer l’injustice et à travailler sur l’harmonisation des grilles des enseignants. Promesse en avait été faite lors des Assises des écoles d’art organisées par l’ANdEA (l’Association nationale de écoles supérieures d’art) les 29 et 30 octobre dernier, mais avec le limogeage de la ministre quelques mois plus tard, la mesure était restée à l’état de dossier sur un coin de table.
Le décret annoncé à la veille des vacances de Noël constitue donc un retour amer au point zéro, avec la sensation pour le personnel concerné de n’être pas entendu par le Ministère. D’où la prise en main de leur destin par les acteurs eux-mêmes, bien décidés à faire porter leur voix jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat. Le 6 janvier a été lancée une pétition sur le site change.org, qui dénombre à ce jour plus de 1 600 signataires. Quelques jours plus tard, c’était le tour de l’ESAT, le collectif d’enseignants en écoles territoriales en lutte, de faire parvenir à Audrey Azoulay, actuelle ministre de la Culture, une lettre ouverte signée par quelque 900 membres du personnel.
La lettre insiste particulièrement sur la compromission « du maillage territorial, la continuité du service public et de l’égalité des chances« , soulignant que chaque école propose un cursus singulier au sein de l’espace européen de l’enseignement supérieur. Ainsi, pour Emil J. Sennewald, critique d’art et enseignant à l’École supérieure d’art de Clermont-Ferrand, « il est sûr que certaines écoles territoriales seront obligées d’abandonner le grade de master et donc revenir au seul DNA (grade licence) à une classe préparatoire voire à une formation amateur. Cela aura de graves conséquences pour la scène artistique en région, animée souvent par des équipes d’art territoriales. Bref, un pas de plus vers l’assèchement des structures artistiques hors capitale, et à terme, l’unification d’un paysage qui puisait son énergie des expérimentations possibles en région. »
Même son de cloche chez Benjamin Hochart, pour qui le principal danger est de voir les efforts de déterritorialisation compromis. « Si les écoles territoriales ferment, il n’y aura plus d’écoles d’art au nord de Paris ni à l’ouest de Limoges. Amputé, le pays sera encore plus centralisé qu’il ne l’est déjà. Les lycéens de région désireux de s’orienter en école d’art n’auront pas le moyen de savoir si ce type d’enseignement leur convient, ce qui serait une menace directe à l’égalité des chances et à l’accès à la culture pour tous. ». Pour l’instant, le ministère n’a pas donné suite à la lettre ouverte.
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