Le Centre Pompidou consacre la première rétrospective de Dora Maar en France. Icône de la vie parisienne, photographe de mode et de publicité prolifique mais également femme engagée et surréaliste révérée, se défait enfin de ses années Picasso.
Dora Monnier. Tel est le nom de l’un des personnages secondaires du film Quai des Orfèvres (1947) d’Henri-Georges Clouzot. Soit une fantasque photographe lesbienne, incarnée par Simone Renant, qui satisfait depuis son studio les commandes érotiques de ses nombreux clients.
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Secrète et loyale, libre et sensuelle, le personnage de Dora tire son épaisseur d’une autre femme, bien réelle : Dora Maar. Pour la plupart, ce nom évoque la maîtresse ultime, stellaire, d’un homme pourtant réputé pour son insatiable appétit en la matière.
Elle est celle que peindra à plusieurs reprises Pablo Picasso. En 1937, le Portrait de Dora Maar, conservé au musée national Picasso-Paris, lui assure d’entrer dans l’imaginaire collectif. Un profil songeur de sphinx et des ongles affûtés comme des lames, que l’on ne peut contempler sans se remémorer une anecdote qu’adorent ressasser les historiens de l’art.
Alors maîtresse de Georges Bataille, elle conquiert le peintre espagnol en jouant à planter un couteau entre ses doigts gantés écartés sur la table du café parisien Les Deux Magots.
Entre studio photographique et réseaux militants
Lors de leur rencontre en janvier 1936, Dora Maar a 28 ans. Née Henriette Theodora Markovitch, Dora Maar est déjà une icône. Une icône et une artiste, les deux inextricablement liées.
Personnage public au sens fort du terme, de l’étoffe dont on écrit les biographies romancées d’artistes, tissées d’anecdotes et d’images d’archives – elle dont tant de romans et de films s’inspireront à travers la vie de Picasso.
La rétrospective que consacre le Centre Pompidou à Dora Maar adopte ce parti pris. Le parcours débute par divers portraits d’elle : des Photomaton anonymes mais aussi, dès 1927, des tableaux qui célèbrent « la femme chic« , selon Marianne Clouzot, cousine du réalisateur, qui peindra sous ses traits le portrait de la femme moderne par excellence.
Elégante, émancipée, celle qui se forme à l’Ecole technique de photographie et de cinématographie de la Ville de Paris fait ses premiers pas dans la vie active en 1931. Avec le décorateur de cinéma Pierre Kéfer, ils ouvrent un studio photographique et signeront à deux : « Kéfer-Dora Maar ».
Le succès ne se fait guère attendre. Alors que la photographie s’impose aux côtés de l’illustration de mode, ils travaillent pour les magazines Heim, Le Figaro illustré ou Femina. Dès 1935, elle lance son propre studio au 29 de la rue d’Astorg, et œuvre dès lors pour Lanvin, Schiaparelli, Madeleine Vionnet ou Chanel.
En parallèle, elle fréquente les réseaux militants d’extrême gauche proches d’André Breton et de Georges Bataille. De là, elle s’aventure dans la rue, photographie les laissés-pour-compte de Barcelone, de Paris ou de Londres – les chiffonnières, les pickpockets, les mendiants.
Quelque part entre les deux, elle se trouve, elle la femme de tête, l’amie de Paul et Nush Eluard et d’Yves Tanguy.
Les années surréalistes
Dora Maar et Dora Monnier se rejoignent. Entre 1935 et 1938, elle expose neuf fois avec le groupe d’André Breton. Le point névralgique du parcours rigoureusement chronologique et thématique du Centre Pompidou, c’est celui-là : les années surréalistes, où se condense l’acmé de sa production.
La photographie se mâtine de photomontage. Sa Main-coquillage (1934), son Etrange Fontaine (1934) ou son Monstre sur la plage (1936) distillent une tranquille incongruité. Et puis, il y a le chef-d’œuvre : le Portrait d’Ubu (1936), référence au Ubu roi d’Alfred Jarry (1895), monstrueuse créature évoquant un fœtus d’alien humanoïde – un bébé tatou certainement, bien que l’auteure refuse catégoriquement d’en révéler la source.
Destinée à extirper l’artiste de son statut de muse, une seule salle est consacrée aux années Picasso. Si elle fut certainement la maîtresse du peintre qui eut le plus d’influence sur sa création artistique, l’inverse, l’influence de Picasso sur la sienne, se révélera désastreuse.
La fin de sa vie, elle la passe cloîtrée dans sa maison de Ménerbes dans le Vaucluse qui lui sera offerte par l’artiste après leur rupture en 1943. Elle peint des natures mortes dans la veine cubiste, des paysages plus ou moins abstraits, et délaisse la photographie jusqu’aux années 1980.
Inégale, la production de cette période a perdu l’onirisme et l’expérimentation qui faisait sa force. A l’écart du monde et des modes, la femme moderne s’enferme et s’isole. Tout en ne cessant jamais de créer, dans un ultime acharnement.
Dora Maar Jusqu’au 29 juillet, Centre Pompidou, Paris IVe
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