Avec son mari Bernd Becher, elle aura été la mémoire de l’Allemagne industrielle : celle dont le paysage s’est couvert de fourneaux, châteaux d’eau, silos et autres gazomètres – des « sculptures anonymes » presque toujours identiques, mais jamais tout à fait les mêmes. Le 10 octobre, la photographe Hilla Becher s’est éteinte à Düsseldorf à l’âge de 81 ans, huit ans après son mari.
Dresser une typologie des nouveaux lieux sans qualité
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Née à Potsdam en Allemagne en 1934, Hilla Wobeser, rencontre son mari à Düsseldorf. Elle y tient le laboratoire de photographie de la ville, tandis que lui étudie la peinture, travaillant à dépeindre les paysages de la région industrielle de la Ruhr. Dès 1959, ceux que l’on appellera dès lors « les Becher » se mettent à travailler en duo. C’est le début de plus de cinquante années de carrière commune, et l’élection sans retour d’un médium, dont ils vont bouleverser l’approche : la photographie.
Dans la lignée de pionniers allemands de la photographie comme Auguste Sander, Bernd et Hilla Becher commencent par immortaliser les bassins miniers et les villages ouvriers, dont la naissance est concomitante à celle du médium photographique. Mais contrairement au réalisme social alors en vogue, ce ne sont pas tant les hommes que le bâti qui retient leur attention. Minutieusement, c’est de l’architecture industrielle et utilitaire de l’époque qu’ils vont dresser le portrait. Une architecture qui, tout comme les populations ouvrières de l’époque, ne retient que peu l’attention, reléguée aux espaces sans qualité que l’on traverse sans les voir.
Très vite, un protocole se met en place : ce sera le grand format et la chambre, les vues frontales en format horizontal, ainsi que la plus grande neutralité possible – les ciels sont gris et unis, la végétation reléguée au bord de l’image. En assemblant les images par groupes de 6, 9 ou 12 au sein d’un même cadre, des typologies comparatives se dessinent. Chaque bâtiment a son type général, décliné en variantes particulières. En creux, c’est le portrait de l’uniformisation moderne qui se dessine, en même temps que l’obsolescence latente de l’ère industrielle.
Le neutre, l’esthétique de la modernité naissante
En 1969 paraît leur premier livre, intitulé Anonyme Skulpturen, a typology of technical constructions. Peu à peu, leur corpus s’élargit : ils voyagent en France, en Angleterre, et aux Etats-Unis. A visée initialement documentaire, leur approche ne tarde pas à révolutionner l’approche plastique. D’abord parce que la rigueur formelle, procédant d’un souci scientifique de classification objective, ne tarde pas à trouver un écho chez les artistes conceptuels. Dès 1972, les Becher, exposés à la dOCUMENTA de Kassel, seront ainsi adoubés par les artistes conceptuels, à la recherches de formes pures de nature à soutenir leur idée d’un art comme « chose mentale ».
Ensuite par leur rôle de maîtres pour toute une génération de jeunes photographes qui se formeront auprès d’eux. Dès 1976, Bernd Becher devient professeur à l’académie des beaux-arts de Düsseldorf, où il fondera la première classe de photographie artistique. Thomas Struth, Thomas Ruff, Candida Höfer ou encore Andreas Gurski y feront leurs classes. Une esthétique naîtra, celle des tableaux-photographiques, vastes compositions dont la charnière est l’objectivité, la froideur et la distance. Et une école, la prestigieuse Ecole de Düsseldorf, que l’on appelle parfois, par extension, l’ « école allemande ».
Le statut ambigu de la photographie plasticienne
En 2004-2005, le Centre Pompidou leur consacrait une vaste rétrospective. Qu’il s’agisse de la première en France démontrait le statut encore ambigu réservé à la photographie plasticienne en France, symptôme d’une hésitation entre la valeur documentaire et la valeur artistique de la photographie. Or l’œuvre des Becher montre, précisément, le nœud gordien qui lie inextricablement l’une et l’autre.
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