Figure libre, Marie-Thérèse Allier aura dirigé la Ménagerie de Verre à Paris – et ses festivals – jusqu’à son dernier souffle. Pour les Inrocks, Jérôme Bel lui rend hommage.
“Marie-Thérèse Allier (ou comme je l’appelais souvent la folle Allier) était une personnalité controversée du milieu chorégraphique depuis le début des années 1980.
La première fois que j’ai mis les pieds à la Ménagerie de Verre, lieu qu’elle avait créé très peu de temps avant, c‘était en 1983 pour passer l’audition de l’école du Centre national de danse contemporaine d’Angers. Ensuite, danseur professionnel, j’y ai beaucoup répété avec les compagnies pour lesquelles je travaillais. La Ménagerie de Verre durant les années 1980 était le centre de la communauté de la danse contemporaine. On y prenait les cours le matin puis enchaînions avec les répétitions. Tout le monde s’y croisait, danseur·ses et chorégraphes (Philippe Decouflé, Daniel Larrieu, Régine Chopinot, Mathilde Monnier, Jean-François Duroure, Josef Nadj et tant d’autres).
Puis la plupart de ces chorégraphes sont devenu·es directeur·rices de centres chorégraphiques en province, et il y a eu une sorte d’étiolement de cette communauté. Face à cette institutionnalisation généralisée, Marie-Thérèse Allier, elle, est restée d’une indépendance farouche et bienvenue. De toute façon, dès que les chorégraphes étaient reconnu·es, elle s’en désintéressait ! Elle voulait toujours du sang neuf !
C’est sans doute pour cela qu’au début des années 1990, je lui ai montré mon travail encore balbutiant. Elle s’est entichée de moi, et j’ai présenté mes premiers spectacles dans le garage de la Ménagerie de Verre (où j’avais vu le spectacle extraordinaire de Claude Régy avec un Marcial di Fonzo Bo hallucinant : Paroles du Sage). Ce garage qui ne ressemblait en rien à un théâtre est devenu un lieu de spectacle pour une certaine danse et a permis la visibilité des travaux de toute une génération d’artistes fascinant·es (Myriam Gourfink, Claudia Triozzi, Boris Charmatz, Alain Buffard, Raimund Hoghe, La Ribot, Xavier Le Roy, etc.).
Marie-Thérèse a ainsi créé le festival Les Inaccoutumés dédié à la danse et puis Étrange Cargo dédié au théâtre expérimental. Ce qu’il s’y passait était sans équivalent. En effet, c’était un endroit où l’on préférait voir un spectacle pas abouti mais prenant des risques plutôt qu’un spectacle réussi mais sans réelle ambition artistique. Et une fois de plus, ces festivals réunissaient une nouvelle communauté dont les discussions enflammées au bar après les spectacles étaient, pour moi, aussi importantes que les spectacles eux-mêmes.
Marie-Thérèse Allier a défendu les pratiques artistiques les plus radicales et spéculatives. Le plus admirable pour moi c’est que, durant ces quarante années, ce lieu/cette femme a encouragé l’expérimentation artistique sans le moindre fléchissement jusqu’à sa mort à l’âge de 92 ans. Et de cela, je lui serai toujours redevable en tant qu’artiste et spectateur… Je sais qu’elle avait un projet avec Jean-Luc Godard dont la célèbre phrase pourrait définir le projet de MTA (comme on dit JLG) : ‘la culture c’est la règle, l’art c‘est l’exception’.”
Propos recueillis par Philippe Noisette
Les obsèques se dérouleront le jeudi 31 mars à 13h30 à la Coupole du cimetière du Père-Lachaise (Paris).