Le dramaturge et metteur en scène suédois Lars Norén est mort du Covid-19 à 76 ans ce 26 janvier.
Lars Norén, l’homme aussi bien que l’artiste, était le sismographe de notre époque. Révélé sur la scène française à la fin des années 80, il était l’un des auteurs les plus montés dans nos théâtres tant ses thèmes de prédilection – la violence, familiale ou politique, la souffrance, psychique ou économique, l’isolement et l’étouffement de l’individu face à la montée des périls – sont le lot commun de l’humanité contemporaine.
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Jeune, il connaît la pauvreté, souffre de crises schizophréniques et subit des électrochocs. Son écriture se porte d’abord vers la poésie et le roman, mais c’est au théâtre qu’il se fait connaître. Comme auteur de près de 80 pièces, bien sûr, mais aussi comme directeur à Stockholm, sa ville natale, du Théâtre National de Suède, où il succède à Ingmar Bergman, avant d’être nommé en 1999 directeur artistique du Riksdrama au théâtre national itinérant suédois.
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C’est sous l’angle des déchirements intimes au sein de la famille qu’on le découvre en France, notamment à travers La Veillée (mise en scène par Jorge Lavelli au théâtre de la Colline en 1989 et, en septembre 2020, par Mélanie Leray et Pierre Maillet au théâtre de la Bastille), Démons, mis en scène et filmé par Marcial Di Fonzo Bo en 2015 ou Automne et Hiver (mis en 2007 par Mélanie Leray et Piere Maillet), des pièces écrites à la fin des années 80.
La parole aux oublié·es
Jean-Louis Martinelli fut également un passeur du théâtre de Lars Norén, en parcourant tout l’arc thématique, du plus intime avec Le Calme en 2013, au plus collectif avec Kliniken en 2007 où il donnait la parole aux patients d’un hôpital psychiatrique.
Parmi les pièces marquantes de Lars Norén, il y eut aussi Catégorie 3-1 qui donnait la parole à des sans-papiers réfugiés au centre de Stockholm ou 7-3, écrite avec les détenus d’une prison et qui fit scandale car il laissait deux détenus néo-nazis tenir un discours antisémite. En 2006, il écrit A la mémoire d’Anna Politkovskaïa, une pièce écrite quelques mois avant l’assassinat de la journaliste et qui traite de la violence de la guerre en Tchétchénie.
En janvier 2020, Frédéric Bélier-Garcia montait Détails, pièce autobiographique de Lars Norén dont il précisait la couleur émotionnelle avec ces mots : “Ce texte n’a pas pour sujet la douleur, mais plutôt la tristesse. C’est comme un sourire triste.”
“Il ne se passe rien”
Mais le souvenir qu’on gardera de Lars Norén, c’est celui de sa création à la Comédie-Française, Poussière, en 2018, une comédie réjouissante pour évoquer le passage de la vie à la mort, ce ressac du temps qui lessive toute certitude. Nous l’avions rencontré lors d’une répétition et il insistait auprès des acteurs interprétant ces onze personnes âgées qui se retrouvent chaque année dans la ville pauvre d’un pays du sud pour y passer leurs vacances dans un hôtel miteux et qui, cette année-là, vont disparaître l’un après l’autre : “N’oubliez pas que c’est une comédie et que ça doit être très rapide.” Il ajoutait : “Mes pièces sur les personnes âgées sont nées parce que moi-même je vieillis. Je ne suis plus intéressé par les phrases intelligentes et bien huilées, je connais cette machinerie. Je veux créer différentes atmosphères, différents mouvements. Il y a de plus en plus de silence dans mon écriture. Dans la phase de vie où je suis, je réalise que ce sont les choses très simples qui recèlent les plus grands secrets. (…) La vie est comme le reflux d’une vague. Le sol est nu et on voit alors une partie de notre vie étalée dans l’espace vide. Dans cette pièce, je cherche ces détails-là, ces moments qui définissent une vie.”
Si le théâtre en est capable, c’était selon lui, parce qu’il “est un lieu sacré. Rien n’est plus beau qu’une scène vide. Attendant un comédien. Attendant les mots. Les mouvements. (…) C’est un lieu sacré car on a la possibilité de montrer l’être humain dans son ensemble. Ses besoins, son langage, son histoire, son futur.”
Pensant peut-être parler un chamane, on lui avait demandé ce qui se passait après, lorsque les acteurs, une fois morts, se glissaient derrière le rideau du fond de scène et poursuivaient leurs dialogues. “Il ne se passe pas grand-chose. Je crois que c’est ça le principe. Il ne se passe rien”, avait-il répondu en souriant. Ce rien qu’il nous revient de vivre et d’habiter.
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